Qui voudrait un peu de culture française ?


Le propos est de François Fillon, issu d’un discours prononcé dans le cadre de sa campagne pour les primaires de son parti. Crachant sur la mémoire de millions d’individus et de leurs descendants vivant sur le sol français, la teneur de ses propos fait alors écho à sa volonté de voir les programmes scolaires et notamment d’histoire, plus prompt à servir le récit national.

Onze années après l’abrogation d’un article de loi exprimant le rôle positif qu’aurait eu la présence française outre mer et notamment en Afrique de Nord, on pensait ce genre de propos passé d’époque. Mais non, nous y avons à nouveau droit. Si encore il s’était satisfait d’avancer certaines avancées structurelles, médicales ou mécaniques permises par l’envoi d’ingénieurs, professeurs ou médecins en sol africain, nous aurions pu lui donner en parti raison. Construction de routes, de canaux, de voies de chemin de fer et d’hôpitaux comme le développement de certaines industries ont été effectivement la face de ce que l’on pourrait penser la face positive de cette époque coloniale. Mais un côté positif à bien relativiser. Car si nous pouvons soupçonner la bonne intention de certains missionnaires et doux philanthropes, il faudrait être très naïf que de penser ces travaux entrepris par les européens dans le seul objectif de permettre aux colonisés de rattraper leur retard, et se faire les égaux des blancs. L’Afrique, bourrées de ressources, véritable mine d’or pour l’industrie naissante avait non seulement besoin d’une main d’oeuvre en bonne santé, comprenant le français, mais aussi d’infrastructures adéquates. Pour faire tourner la machine capitaliste à plein feu, il fallait à l’Afrique ce qui lui manquait alors pour en être un efficace rouage, d’où une main française en apparence très généreuse.

Mais François Fillon n’en fit même pas mention. La culture, voilà ce que la France aurait partagé avec ses sujets.

Un peu de culture…

De quel partage de culture notre professionnel de la politique nous parle-t-il?

De ces idéologies séculaires, que la France post-révolutionnaire tenta désespérément de propager en territoire étranger, en tachant d’y éliminer tout sentiment religieux trop prégnant? De ce regard si méprisant porté sur la religion musulmane et ces tentatives d’en contrôler les institutions, et d’en fermer mosquées et écoles coraniques? Quel beau partage également que fut l’abrogation systématique des lois et coutumes en vigueur dans les pays conquis, substituées par des règles et principes nés dans un occident déchristianisé, qu’étrangers durent faire leur sans n’avoir rien demandé. Quel regard doit-on également porter sur ces assassinats et exécutions publiques de savants et résistants musulmans? Quel regard doit-on avoir sur cet orientalisme faussé peignant un Orient de débauchés, nourrissant amalgames et rejet?

Mr Fillon nous fait-il peut-être aussi mention de ces droits humains inscrits dans le marbre en métropole et oubliés une fois la Méditerranée passée? De ces discours de laïques et progressistes pensant le nègre comme un singe? Est-il question dans ce partage de ces exhibitions ethnologiques à Paris, qui de 1877 à 1931, au nombre de 40 permirent à de curieux blancs becs d’observer de bonshommes et femmes noirs dans leur plus simple appareil? Qu’en est-il de la mise en pratique de ce capitalisme sauvage ayant asservi tant de populations, de ces confiscations systématiques de terres et de biens, de ces destructions de forêts, temples et édifices religieux? Que penser aussi de ces femmes réduites à l’état d’esclaves sexuelles et de ces enfants ayant servi dans les mines? Fait-il aussi référence à ces manuels scolaires présentant le colonisé comme un sauvage en manque d’hygiène, et vantant le blanc comme un être supérieur?

Qu’en est-il de ce qui suivit la période coloniale, ce partage culturel, une fois les colons partis? De ce fléau que sera cette déferlante d’alcools et drogues en tous genres ayant peu à peu infiltré tant de foyers africains? De ce culte de la nudité et du libertinage ayant pénétré tant de sociétés jusqu’ici très prudes? De cette avalanche d’idéaux philosophiques ayant fait émerger en certains intellectuels les graines du laïcisme le plus revanchard? Que penser de la destruction systématique des formes d’autorités politiques d’alors, remplacées par le multipartisme et la démocratie parlementaire ayant engendré tant de dictatures et régimes abjectes? Qu’en est-il de cette aliénation culturelle ayant conduit à la naissance de sociétés tant schizophréniques qu’identitairement dépossédées de références solides et légitimes?

Nous attendons les réponses hypothétiques de Mr fillon. Car nous peinons à comprendre ce que serait ce partage de culture dont il fait référence.

Car si la culture française eut été aussi partagée dans le sens entendu par notre vieux républicain, que viennent alors faire ces concepts de négritude ou de panarabisme ayant trouvé terreau favorable en ces mêmes territoires colonisés? Doit-on voir en ces intellectuels et résistants des gens n’ayant pas compris le message révélé salvateur de cette Marianne au sein nu? Des individus se sont battus pour garder leurs coutumes, religion, et voir même leur simple Histoire. Une Histoire que l’on tenta d’effacer en contrôlant les programmes scolaires de ces enfants maghrébins et noirs africains. Des manuels présentant la France comme le centre du monde, avec Vercingétorix comme ancêtre commun. Dans ces écoles il a été question de faire prévaloir la culture française sur toutes les autres, au détriment de leur patrimoine historique, parfois bien plus ancien. Franciser les peuples pour en faire de futurs consommateurs de la culture française, tel fut le désir des élites républicaines en inculquant cette histoire de France et son lot d’idéologies et religions modernes aux peuples vaincus. Des écoles ayant plébiscité l’enseignement des travaux manuels en tous genres, désireux de faire des noirs et arabes, des ouvriers agricoles, des subalternes de l’administration, mais surtout pas des scientifiques, médecins ou ingénieurs.

Ils n’ont pas demandé à se voir sauvés ou bénéficiaires d’une culture que le gentil blanc aurait eu la bonté de partager. La langue française, bien, et ensuite? Quelques références intellectuelles intéressantes, mais encore? Ces peuples avaient leurs propres standards et grilles de lecture, aujourd’hui encore très floues, mais qui par soubresauts tentent de se refaire une place, à travers notamment la réappropriation d’une Histoire. De leur Histoire. Et oui, l’évangélisation française s’essouffle.

Peur et identité  

A sens inverse, nous pouvons finalement comprendre cette volonté de revivifier à travers de possibles nouveaux programme d’Histoire ce fameux récit national. La France voit son identité vacillée, et de par ses positions de plus en plus discutées, tend à s’isoler de ses voisins. La question de l’identité est pour les musulmans comme les français (non-musulmans et laïcisés) une question particulièrement d’actualité. Les premiers parce qu’ils se redécouvrent, les seconds parce qu’ils se perdent. N’en voulons même pas à ce politicien qui ne se démarque finalement que peu des autres, il ne fait que se chercher. 

 »La politique coloniale française est orientée vers un but bien défini, l’assimilation. La politique d’assimilation ne se propose pas seulement de faire progresser les indigènes : elle se propose de leur faire accepter la langue, les institutions, les croyances politiques et religieuses, les mœurs et l’esprit français. Par cela même elle affirme que ce qui convient aux français convient également à toutes les races, aux nègres, aux annamites, aux canaques et aux arabes. Elle nie l’évolution psychologique; elle nie la relation intime qui unit les éléments moraux d’une civilisation à la race qui les a élaborés.Ces hommes ne conçoivent pas d’autres solutions aux problèmes complexes de la domination des indigènes, que le fusionnement et l’assimilation totale ».

Léopold de Saussure. Psychologie et la colonisation française. Félix Alcan

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