Les musulmans ne respecteraient pas la loi. Vraiment?

A peine quelques jours sont passés depuis les premiers arrêtés anti-burkini que déjà des femmes simplement voilées sont verbalisées sur certaines plages de la côte d’azur. Leur tenue ne serait pas conforme à la laïcité. Dans l’opinion publique, les regards et avis se divisent, mais pour une partie des français, rien de plus normal, outre la laïcité, les musulman(e)s ne respecteraient simplement pas la loi républicaine.


Mais de quelles lois parle-t-on?

Nous avons cherché, épié les textes relatifs aux mœurs vestimentaires à adopter en République française, nous n’en avons trouvé aucun. Aucun article de loi ne parle de longueur de jupe, de pantalon obligatoire et encore moins de voile à porter ou non. Il n’est pas non plus fait mention de spécificité quant à la teneur religieuse de tel ou tel tissu que l’on arborait en public comme en privé, qui pourrait le cas échéant, être banni.

L’uniforme scolaire n’a plus cours, et le clergé catholique n’a depuis des générations plus aucune influence sur la mode. Nulle mention d’un quelconque vêtement définissant le français tel qu’il devrait être n’a été décidé non plus par les pères fondateurs de la République. Aucune infraction à la loi non plus dans le cas de cet imam misogyne ou cet autre n’aimant pas la musique. Encore moins dans le cas de ce président associatif rechignant à serrer la main au sexe opposé ou de cette association proposant à des femmes de se retrouver entre elles le temps d’une journée dans un parc aquatique. Et pourtant, on ne cesse de rappeler tous ces ennemis de la République à la loi, et encore la loi.

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Mais où diable sont donc ces fameuses lois?

La déclaration des droits de l’homme et du citoyen, socle républicain post 1789, déclare pourtant à ce sujet :  »Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. ». Si la nudité, peut-être de l’ordre du trouble le cas échéant, le port de vêtements religieusement connotés ne sont (encore) nullement considérés par la loi ainsi. La convention européenne des droits de l’homme, que la France se doit de respecter comme les autres nations l’ayant fait sienne, en son article 9, se montre encore plus explicite :  »la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». Nous pouvons retrouver propos similaires dans la Constitution française :  »La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. ». Mieux encore, l’article 18 de la déclaration universelle des droits de l’homme explicite clairement la chose suivante :  »Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. ».

Il y a bien une loi de 2010 interdisant aux citoyen(ne)s de se couvrir le visage, officiellement pour des raisons de sécurité, bien que ciblant dans la quasi-totalité des cas les femmes musulmanes. Il y a aussi cette loi datant de 1800 interdisant le port du pantalon aux femmes dans la commune de Paris, toujours en cours, mais bien évidemment, aucun tribunal ne saurait en faire utilisation contre une prétendue fraudeuse. Mais en dehors de ces cas d’exceptions, il n’y a rien, toujours rien, ni dans la déclaration des droits de l’homme, ni dans la Constitution et encore moins dans la convention européenne des droits de l’homme.

 

Et la laïcité dans tout ça?

Dans l’esprit de la plupart des individus hostiles à la visibilité musulmane, le mahométan et surtout sa femelle serait plus précisément en infraction avec la désormais mondialement connue laïcité. Faisant office à la foi de loi, de valeur, de morale, et parfois même de foi religieuse, elle est brandie à chaque fois qu’un voile s’affiche sur une tête féminine. On sait que la laïcité amorcée par Jules Ferry avait pour objectif de désacraliser l’école publique 140 ans plus tôt, en y boutant curés et bonnes sœurs. On sait aussi et surtout qu’elle repose sur la loi de 1905 de la séparation des Eglises et de l’Etat, sonnant définitivement le glas de l’influence de l’Eglise catholique sur la politique de l’Etat.

Mais là encore, pour quiconque a pu en lire les quelques versets que compte ce texte devenu véritable révélation aux yeux de ses fidèles, nulle mention n’est faite quant à une tenue laïque à respecter. L’article premier va même dans le sens inverse : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. Et ci-après, toujours rien. Le fondamentaliste laïque, ne lisant ses textes de référence guère plus, ou guère mieux que n’importe quel autre fondamentaliste religieux, est pourtant persuadé que si l’islam oblige la femme à se voiler, la laïcité oblige cette dernière à en faire le contraire.

 

La loi de 2004 sur les signes ostentatoires religieux?

Là il semble que nous chauffons. Voilà! Nous l’avons notre loi légiférant quant au vêtement des français. Mais pas n’importe lesquels, car il s’agit bien des élèves de l’école, des collèges et lycées publics qui semblent ici visés. Vendue comme un moyen de faire des élèves des êtres égaux tout en les protégeant de l’influence de leurs (vilains) parents (musulmans), la loi ne concerne en aucun cas les femmes voilées (ce dont il s’agit) en dehors des établissements scolaires publics. Mais comme on pouvait déjà s’y attendre il y a 12 ans, il est difficilement compréhensible pour les masses de voir un vêtement banni ici et ne pas l’être là sans créer de confusions et réactions contradictoires. Après avoir sévèrement martelé dans la tête des gens que ce voile ne serait qu’ignominie sans nom, radicalisme islamiste et symbole de LA soumission féminine, difficile de le rendre acceptable là où il serait encore permis. Surtout avec autant de tentatives d’extension de la loi de 2004 discutées chaque année depuis par les tenants de la gauche comme de la droite.

Mais là encore, si la loi tend à permettre aux patrons du privé d’autoriser ou non la présence de voilées dans ses bureaux, comme aux chefs d’établissements d’autoriser la présence d’accompagnatrices voilées lors de sorties scolaires, aucune loi n’interdit à ces dernières de circuler dans l’espace public comme dans les locaux d’une entreprise. Mais rien n’y fait, bien que n’étant généralement pas capable de sortir un seul texte de loi à ce sujet, les voilophobes et laïcistes en sont convaincus, les femmes voilées seraient hors la loi. Et ils le font savoir sur les réseaux sociaux. Combien de commentaires des plus violents peut-on lire à chaque article où mention du voile en a été faite?  »Les lois sont les mêmes pour tout le monde »,  »que les musulmans respectent la loi et il n’y aura pas de problèmes! », »chez eux la loi on la respecte, que les musulmans le fassent aussi ici », peut-on lire abondamment ici et là.

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Absence de loi, mais présence de prétexte

Révélateur d’un racisme durablement ancré, d’une obsession anti-religieuse pour ne pas dire anti-musulmane, on peine à croire qu’autant de gens puissent être aussi persuadés de l’existence de lois si liberticides et contraires aux valeurs (liberté, égalité) que défend pourtant la France. Et pourtant… Parfois, le meilleur moyen de se persuader d’une chose est simplement d’y apporter foi sans en vérifier la véracité, ce qui semble ici souvent le cas.

Mais peut-être y a t’il des lois cachées, des textes trop complexes pour nos cervelets étroits. Dans ce cas, que nos concitoyens nous pardonnent et éclairent nos lanternes, mais qu’ils fassent vite, car les polémiques s’accélèrent, et les musulmans commencent à croire que ces lois dictant le comment s’habiller et évoluer en société n’existent tout simplement pas…

Simple prétexte afin de taper à visage découvert sur une communauté encore trop mal informée et faiblement défendue? Tout porte à le croire. Ainsi, pourquoi ne pas inverser la tendance, et proposer aux plus fanatisés des justiciers laïques de gentiment se conformer à la loi les premiers, et à ce qu’elle dit explicitement quant aux libertés individuelles que ce pays garantit encore à ses citoyens, même musulmans…?

Si jeu il y a, autant le jouer jusqu’au bout, n’est ce pas?

 

 

 

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