L’Amiral Zheng He. Chinois, musulman, et en Afrique avant les blancs

Alors que le monde moderne ne retient des explorateurs que les noms de quelques européens, il est pourtant vérifié qu’avant même que les Portugais commencent à avoir le pied marin, les musulmans furent alors de grands explorateurs. En voici un, surement l’un des plus connus, et chinois qui plus est : Zheng He.


Issu d’une famille musulmane, et capturé à l’âge de 13 ans à la suite d’une guerre tribale dans le sud ouest chinois qui l’a vu naitre, Zheng He, fraichement castré, car destiné à servir à la Cour Impériale, gravit rapidement les échelons jusqu’à devenir grand eunuque impériale.

Sans qu’il ne soit jamais allé en mer, Yongle, troisième empereur de la dynastie Ming, le fait nommer Amiral de sa flotte… Les récits de voyage de son père et de son grand père, tous deux partis en pèlerinage à La Mecque auront peut-être poussé l’empereur à voir en lui l’homme idéal. Il faut dire que Zheng He se sera jusqu’ici bien distingué dans ses études de l’art de la guerre, et reste reconnu pour ses prouesses au combat. Il parle également bien l’arabe.

Détruisant la moitié des forêts du sud chinois, cette flotte nouvelle sera chargée, sous les ordres du nouvel amiral, de parcourir l’Océan Indien. Plus de 30 000 hommes à son apogée, des bateaux ré-estimés à près de 60 mètres de long (le double des caravelles du futur Christophe Colomb), ce seront sept voyages qui auront ainsi lieu entre 1405 et 1433.

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Les chinois commandés par l’eunuque musulman iront jusqu’à amarrer en terres africaines, de l’Egypte au Mozambique, en passant même par la péninsule arabique. Des expéditions qui aboutiront à de fructueux échanges commerciaux entre africains, arabes et chinois, bien avant que les blancs n’investissent terres et marchés.

 

Des relations diplomatiques sont même établies à partir de 1414 entre le sultanat Malindi (actuel Kenya) et la Chine. Zheng He fit même ramener aux chinois une girafe de cette expédition là.

Le récit de ces échanges pour le moins peu connus, nous a été rapporté notamment grâce au travail remarquable de son compagnon de route Ma Huan. Lui aussi musulman, ses écrits sont encore disponibles dans un ouvrage titré Ying-yai Sheng-lan. Lors de leur dernier voyage en commun, nos deux compères se voient octroyer le droit d’aller jusqu’à La Mecque en vue d’établir des échanges commerciaux. Voici en quelques lignes ce que Ma Huan en retiendra :

 »Ils professent la religion musulmane. Un saint homme exposa et répandit cette loi en l’enseignant à travers le pays, et jusqu’à aujourd’hui, les gens de ce pays observent tous les règles de cette loi dans leurs actes, sans jamais commettre la moindre transgression. Les gens de ce pays sont vigoureux et de belle apparence, leurs membres et leurs visages sont de couleur violet très foncé. Les hommes coiffent leurs têtes d’un turban ; ils portent de longs vêtements ; à leurs pieds, ils mettent des chaussures de cuir. Les femmes portent toutes un voile sur leurs têtes, et vous ne pouvez pas voir leurs visages. Ils parlent la langue A-la-pi [arabe]. La loi de ce pays interdit de boire du vin. Les mœurs de ces gens sont pacifiques et admirables. Il n’y a pas de familles misérables. Ils observent tous les préceptes de leur religion, et les contrevenants sont peu nombreux. En vérité, c’est un pays très heureux. Pour les rites du mariage comme pour ceux des funérailles, tous les conduisent en accord avec les règles de leur religion. »

Les récits un siècle plus tôt d’Ibn Battuta, entre autres, confirme d’ailleurs que chinois, et asiatiques plus généralement, eurent déjà l’occasion de rencontrer arabes et noirs à plusieurs reprises. Les échanges commerciaux et diplomatiques étaient donc déjà au beau fixe. Il n’emploiera la force militaire mise à sa disposition que très rarement, mais grâce à celle-ci, Zheng He réussira tout de même à mettre en déroute le célèbre pirate d’alors Chen Zuyi afin de le ramener en Chine pour son exécution. 

Contrairement aux européens quelques décennies plus tard, les chinois n’ont alors point l’envie de coloniser les terres nouvellement découvertes, ni d’en inviter les autochtones à un quelconque universalisme chinois dont ils se seraient fait les garants. Il s’agit de commerce, saupoudré d’un zeste de gloire impériale voulue par l’empereur chinois.

Une entreprise qui aurait pu aboutir à une histoire totalement différente, si seulement les chinois n’avaient pas stoppés net leurs expéditions. A la mort de Zheng He, l’empereur chinois, en proie à des conflits menaçant ses frontières, requiert l’essentiel de ses hommes et de son argent afin de défendre le territoire national. La flotte, trop couteuse est même détruite un peu plus tard, laissant aux portugais, puis aux espagnols, français et britanniques tout le soin de dominer les mers et océans du monde entier par la suite.

En 2002, l’auteur britannique Gavin Menzies émet l’hypothèse, documents à l’appui, que Zheng He aurait même atteint l’Australie, l’Antarctique et le continent américain. Des cartes utilisées par les européens font effectivement mention de territoires jusqu’ici inconnus par les grands navigateurs occidentaux. La flotte chinoise étant la plus importante alors au monde, avant que les portugais prennent le relais, certains seraient portés à croire que d’autres avant eux purent atteindre ces territoires encore non foulés par les européens.

L’islamosité du navigateur est aussi remise en doute par certains chercheurs occidentaux. Des travaux avancent que ce fut sous la protection de Tianfei (ou Mazu), une déesse protectrice des marins, que Zheng He entreprit ses voyages.

Musulman, polythéiste, découvreur de l’Amérique avant Colomb?

Au delà des doutes que l’on pourrait avoir sur certains aspects de ce personnage comme de certains de ses voyages, ses périples auront au moins pu mettre en avant la différence d’approche entre ces deux puissants peuples d’alors, chinois et occidentaux, quant à la question africaine. En un même siècle, à puissance maritime égale, les relations diplomatique s’envisageront sous deux angles d’attaques très différents…

Se repliant sur elle-même cinq siècles durant, ce n’est que depuis ce début de XXIème siècle que la Chine tend à se re-déployer à l’étranger, et notamment en Afrique. Ne rompant pas avec la tradition, là encore, les échanges restent très économiques. Africains et arabes n’ont en tout cas aucunement fait mention d’un quelconque désir de la part des chinois de chinoitiser les mœurs et la culture de leurs nouveaux partenaires…

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