Esclave, noir, et musulman en Amerique

Durant plus de 300 ans, entre 10 et 15 millions d’hommes et de femmes furent déportés d’Afrique et réduits en esclavage sur le continent américain. De 10 à 30 % d’entre eux, selon les estimations, furent musulmans.

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Utilisés comme main d’oeuvre dans ce qui est l’actuel Brésil, les Caraïbes et le sud des États-Unis, de nombreux éléments nous prouvent la présence parmi ces esclaves de musulman(e)s. Alors que la plupart des noirs vendus sur les côtes africaines étaient animistes, d’autres, notamment dans ce qui est l’actuel Sénégal et Mali, furent parfois de très grands érudits de l’islam, quand ils n’étaient pas de grands combattants pour le jihad armé lors de leur capture.

Des musulmans pourvoyeurs de musulmans

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L’Afrique de l’est était alors autour du XVIème siècle, une zone où les conflits étaient nombreux. Les captifs étaient alors vendus contre rançon au mieux et au pire comme esclave, aux arabes dans un premier temps, puis aux blancs, plus massivement après. Si on sait que ce sont des noirs qui vendirent des noirs aux blancs, on sait moins que les responsables de cette traite, en cette région particulière, furent souvent aussi musulmans. Des musulmans vendus aux incroyants par des musulmans. Fait rare et assez important pour être souligné.

D’invétérés révoltés

Comme en atteste la révolte de Bahia au Brésil en 1835, la mutinerie de l’Amistad ou les multiples tentatives d’évasions retranscrites par écrit, les esclaves musulmans, souvent les plus résistants et enclins à la désobéissance, furent souvent regardé avec suspicions et craintes. L’idée qu’ils puissent contaminer les autres de par leur religion fut toute aussi grande.

Aux prémices de la traite, le royaume d’Espagne déclarait déjà en 1534, dans une ordonnance que  »dans un nouveau pays comme celui-ci où la foi [les catholiques] n’est que récemment semée, il est nécessaire de ne pas laisser se propager là la secte de Mahomet ou de tout autre ». Ils préféraient ainsi l’envoi de ladinos, musulmans convertis au christianisme, notamment après la reconquista espagnole post 1492.

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Mutinerie à bord de l’Amistad

La forte cohésion qu’il pouvait y avoir entre les musulmans regroupés au sein des diverses plantations et la langue arabe leur permettant de se reconnaître et communiquer, facilitèrent effectivement diverses révoltes et mutineries. La formation militaire de certains, qui étaient en leur pays de véritables combattants actifs dans le jihad armé, y aida grandement. Mais nombre d’entre eux furent aussi contraints d’abjurer leur foi sous peine de châtiments corporels.

Conversions forcées

Ils se devaient ainsi de changer de nom, aller à l’Église et renoncer à toute pratique de l’islam. Leurs enfants, quand ils en avaient, leur étant enlevés en bas âge, la transmission de l’islam fut alors quasi impossible dans la plupart des cas. Nul ne sait combien d’entre eux persistèrent à accomplir leurs obligations religieuses en cachette tout en montrant patte blanche au maître et ceux qui, faiblement islamisé, abandonnèrent bon gré malgré leur religion.

Quelques chanceux

Cependant, pour d’autres, il en fut tout autre. Non seulement leur religion sut être acceptée par leurs maitres, mais ils purent accomplir leurs prières quotidiennes, jeûner le mois de ramadhan, et faire l’aumône, tout en portant barbe pour les hommes et voile pour les femmes. Ils réussirent même à susciter admiration et respect chez certains colons et chefs de plantation. Nombreux sont ceux de ces musulmans qui accédèrent aux postes les plus importants au sein des plantations, dirigeant parfois tous les travaux à la place des blancs.

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Ayuba Suleyman Diallo, un Coran autour du cou

Pour cause, ils étaient généralement les plus instruits. En plus de savoir lire et écrire, ils maitrisaient l’arabe et connaissait le Coran parfois par cœur. De quoi étonner bon nombre de leurs propriétaires, les amenant bien souvent à considérer ses derniers non plus comme des noirs mais comme des Maures. Le noir, dans l’imaginaire blanc, ne pouvait être cultivé et maitriser les arts et lettres. C’est ainsi que beaucoup d’entre eux, retrouvèrent la liberté jusqu’à parfois pouvoir rentrer sur leur terre.

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Autobiographie d’Omar ibn Saïd, érudit musulman devenu esclave en Caroline du Sud

Certains étaient même de grands érudits en sciences islamiques lors de leur capture, et disposaient d’un taux d’alphabétisation et d’éducation largement supérieur à ceux de leurs maîtres blancs.

Une histoire faite de noms et de faits

De nombreux noms et récits ont pu traverser les époques. Lamine Kebe, Abel Conder (abd al Qadir) et Mahamut, ou encore le désormais célèbre Kunta Kinte. Un certain S’Quash fut aussi connu pour ses connaissances en langue arabe et ses talents de cavalier. Une plantation en Géorgie rapporte aussi des esclaves se prosternant chaque matin à l’aube.

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Omar ibn Saïd

L’Amistad, ce négrier espagnol, repris par les esclaves eux-même après une mutinerie mais qui échouera au large de New York, en 1839, mettra lui aussi en avant des captifs musulmans. Faisant alors l’objet d’un procès, afin de savoir de qui revenait de droit ses hommes, l’administrateur de l’ex gouverneur britannique témoignera :  »A l’un de ceux à qui j’ai parlé, je répéta une forme de prière mohemmedienne, en arabe ; l’homme, immédiatement, reconnu la langue, et répéta les mots Allah Akbar. L’homme derrière ce Negre, à qui je m’adressa, en lui disant salam aleykum, immédiatement … répondit aleykum salam.. ». Ils finiront tous, sans exception, par être renvoyés en Afrique.

Un patrimoine oublié

En dépit des centaines de milliers de musulmans réduits en esclavage sur les continents américains nord et sud, très peu d’entre eux purent transmettre leur religion à leurs enfants. A tel point que certains petits-enfants de musulmans esclaves ne savaient même pas que leurs ancêtres en étaient, allant jusqu’à s’imaginer qu’ils adoraient la lune et le soleil, du fait de leurs prières de l’aube et du soir.

Les enfants étaient souvent retirés aux parents, ou contraints à n’avoir des rapports que restreints. Les difficultés quotidiennes dues à leurs condition, les christianisations forcées et le manque d’encadrement permettant un enseignement islamique adéquat eu raison de l’islamosité des générations successives. Des influences subsistent néanmoins. Les vaudous saluent par exemple leurs divinités avec un salam, en se mettant à genoux et en levant les bras. Sur l’île de Sapelo, où Bilali Muhammad, l’un des esclaves musulmans les plus célèbres, aura au sa descendance, les hommes et femmes sont, séparés dans les églises. Ils y enlèvent leurs chaussures et les femmes se couvrent la tête avant d’y entrer. Elles sont d’ailleurs construites en direction de La Mecque, et les corps sont enterrés en sa direction.

Des retours à l’islam?

De plus en plus de conversions à l’islam de noirs américains sont néanmoins visibles depuis les mouvements d’émancipation au milieu du XXème siècle. Mais des conversions, ou retours à la religion de leurs parents, qui s’effectuent souvent à travers le passage dans l’une de ses nombreuses sectes telle que la Nation of Islam ou les five percents, n’ayant de l’islam finalement que plus grand chose.

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Louis Farrakhan, leader de la Nation of Islam

On a pu voir aussi depuis quelques générations, de nombreux afro-américains attribués des prénoms arabo-musulmans à leurs enfants, des rappeurs faisant régulièrement référence au Coran, ou des spécialistes travaillant à rééduquer leur communauté en rétablissant quelques vérités historiques, rappelant l’origine musulmane de certains. Mais l’idée que les ancêtres d’une partie des leurs puissent avoir partagés la même religion que ceux s’étant rendus célèbres un certain 11 septembre 2001 ne provoque peut-être que peu d’enthousiasme.

On fait ainsi face plus à une quête identitaire, une ré-africanisation des identités, passant par une ré-islamisation de certains aspects de leur personne, qu’à un retour à l’islam véritable.

Nous tenterons, incha allah, de retracer dans les semaines suivantes, à travers plusieurs articles, les récits et biographies de certains ayant eu la possibilité de marquer l’histoire de leur noms et de leur vie. A suivre!

 

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