Du voile au burkini. La lente descente aux enfers d’une France qui se crispe.

Le conseil d’Etat a tranché, se prélasser habillé sur une plage française n’est plus interdit pour les femmes musulmanes. L’affaire est pour le moment enterrée. Mais elle aura été l’occasion, (de plus ou de trop), de constater la lente agonie d’un modèle français incapable de faire face au fait religieux à chacun de ses réveils.

Certains esprits clairvoyants avaient déjà vu en la loi de 2004 interdisant les signes religieux à l’école une porte ouverte sur cette pièce que l’on pensait condamnée depuis longtemps. Cette pièce où la parole raciste peut se confondre dans la misogynie et les discours dignes des pires époques du colonialisme. Des discours violents, durs, et s’accompagnant de plus en plus souvent d’actes.

Tel le nègre auparavant, le youpin ou le bougnoule, l’affreux raciste a trouvé en la femme musulmane voilée une cible toute choisie. Soumise, cerveau lavé, endoctrinée, islamiste ou provocatrice, elle ne semble rien avoir de bon en elle. On peut la regarder de travers et en parler comme on le ferait d’une bête sauvage. Elle ne pense rien et on pense pour elle, car l’on sait ce qui est bon pour elle. On peut l’empêcher d’aller à l’école, empêcher sa maman de l’accompagner lors de sorties scolaires, l’empêcher une fois grande d’accéder à la fac puis au marché du travail et l’on put le temps de quelques jours l’empêcher de se rendre à la piscine ou à la plage.

De la plage il a été longuement question cet été. Une femme, allongée dans le sable vit plusieurs policiers armés il y a quelques jours lui intimer de se dévêtir devant foule, tout en lui dressant une amende. La scène fut photographiée, ses voisins de plage inertes et observateurs avec. L’image a fait le tour du monde. Humiliée comme la femme en question, la France est devenue en l’espace de quelques heures terre de honte et d’infamie. Les plus démocrates et progressistes pensaient ce genre de choses possibles qu’en ces quelques contrées où la chariah est appliquée. ils s’étaient trompés. Même en démocratie française, terre des Lumières et rédactrice de la déclaration des droits de l’Homme, une personne, femme qui plus est, peut se voir contrainte de porter ou non un vêtement, et verbalisée pour non-conformité aux bonnes mœurs du pays l’ayant vu naitre. D’autres subirent semblable inquisition, mais loin des caméras et appareils photo. Pour les autres, à Nice par exemple, la plage leur étant interdite, les quelques voilées approchant encore la mer se sont vues forcées de rester assises sur les bancs lui faisant face, observant leurs enfants se baignant au loin. Plages autorisées aux chiens, mais pas aux voilées.

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Le constat est consternant, effrayant, rageant. Quelle idée ces enfants-là se feront de la France en grandissant avec une mère n’ayant pas eu le droit d’aller à l’école vêtue comme elle le voulait, et par moment de se déplacer librement dans l’espace publique? Quelles résonances auront les termes de liberté et d’égalité dans l’intellect de ces bambins? Quel pourrait donc être leur attachement à une République qui n’aura eu de cesse d’humilier leurs mères, sœurs et cousines?

Ne comptez pas sur les hommes et femmes politiques de ce pays pour y réfléchir. En dehors de quelques rares cas, ils ne le feront pas. La seule immédiateté les intéresse. L’émotivité des électeurs faisant office de carburant dans chacune des courses menant au trône présidentiel. Sans gêne aucune, ministres et anciens présidents se bousculent sur les ondes, récupérant le moindre fait, la plus puérile des polémiques. Sans jamais chercher à calmer les esprits, ils n’hésitent pas une seule seconde à faire dans la plus nauséabonde des surenchères. Exciter les foules, surfer sur les peurs, exacerber les craintes, rien n’est trop gros lorsqu’il s’agit de s’offrir un peu d’audimat. De Sarkozy à Valls, de Morano à Menard, ils ont fait du voile et de l’islam leur combat premier. On parle burkini, on va parler voile, du voile on va passer à l’islamisme politique, de ceci nous passerons aux attentats, etc, etc..

 »La responsabilité de ce lent et profond travail de rongeur, incombe totalement aux élites de ce pays qui ont remplacé les agendas socia…ux et économiques par un agenda calqué sur le programme de l’extrême droite : identité-sécurité. Définissant ainsi une norme française : blanche chrétienne et raciste qui refuse l’étranger, le réfugié, le rome, le noir, l’arabe, le musulman, qu’ils soient français ou non. A la population en désarroi social et économique on accorde ainsi un privilège, en guise de carotte, celui de l’appartenance à la norme dominante et on lui a donné deux armes outils, vous êtes laïques et vous êtes pour les droits des femmes. Dans un pays où les mêmes s’empressent de rappeler leurs racines chrétiennes, considérées elles comme républicaines et laïques et féministes (sic !) et où une femme meurt sous les coups de son compagnon tous les trois jours !
Sur les réseaux sociaux, dans les médias ces deux camps s’affrontent encore aujourd’hui, celui de la fraternité et celui de la haine… au pouvoir. »(1)

Au diable l’économie, le chômage, les sans domiciles fixe et la délinquance. L’identité. Ils n’ont que ce mot à la bouche. Des femmes par milliers tombent sous les coups de leur conjoint encore dans ce pays, d’autres sont toujours par milliers à vendre leur corps dans de sombres ruelles chaque soir. L’égalité salariale n’est toujours pas effective et toujours peu de femmes restent visibles à l’Académie française ou au MEDEF. Mais ces cas-là ne les intéressent pas. Leur dévolu s’est jeté sur les seules femmes voilées.

Si elles se font verbaliser, insulter, jeter ici et là, c’est parce qu’elles le provoqueraient. Ils le crient haut et fort, ces femmes sont des provocatrices. Nul besoin de leur demander leur avis, de dialoguer avec elles, de chercher à comprendre et trouver solution adéquate, non elles ne font que provoquer leur monde. On croirait entendre ceux qui jadis conspuaient les femmes se faisant violer parce que se découvrant un peu trop. Elles aussi, nous ne cherchions pas à les disculper, elles aussi, provoquaient leur monde. La musulmane, en plus d’être provocante est, elle, porteuse d’un projet politique. Car si voile est mis c’est pour mieux faire fléchir la société, imposer sa vision du monde, affirmer son refus des valeurs républicaines. Ces valeurs que sont la liberté, l’égalité et la fraternité? Oui la femme voilée menacerait la liberté parce qu’en en jouissant comme les autres, entraverait l’égalité car en en jouissant tout autant, et la fraternité.. A-t-elle seulement existé à l’égard de ces dernières?

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Exclure, accuser, diviser, penser à la place de l’autre et légiférer afin d’éloigner, cloisonner et brider cette autre. Tous les discours vont en ce sens. Des discours qui rappellent de sombres heures vécues déjà plus tôt. Rappelons-nous de ce qui se disait sur les juifs ici, sur les noirs en Amérique du Nord. Rappelez-vous surtout quelles ont été les suites pratiques de ces discours. Piscine interdite aux juifs, restaurant refusant les noirs, commerces casher fermés, noirs humiliés en public, et ainsi de suite, jusqu’au pas de trop. Autant d’agissements que l’on croyait voués à disparaître mais réapparaissant au grand jour dans un quasi-unanimisme politique des plus effrayants. Qui va de toute façon prendre la défense de ces musulmans et musulmanes, responsables de tous les problèmes que nous connaissons?

De racismes en racismes

Le racisme scientifique et hiérarchisant les races et individus est aujourd’hui intenable, celui mettant en scène l’arabe voleur et le noir sexuellement affamé peine tout autant à trouver audience en dehors des bistrots et meetings du FN. Nous avons compris que ces racismes-là n’étaient plus légitimes et ne reposaient sur rien.  Pourtant le racisme est encore là. Il s’exprime toujours et n’a en rien perdu de sa superbe. Il a simplement changé de cibles et motivations, muté en quelque chose de plus politiquement correct. Tel un virus, il a su s’acclimater et tenir tête aux différents vaccins occultés. Ce n’est plus la génétique, la couleur, l’ethnie ou l’origine géographique qui pose véritablement problème, mais la religion de l’autre. L’entreprise avait déjà court dans les colonies françaises d’autrefois, mais avec le développement du sentiment musulman dans l’hexagone, l’entreprise a depuis bien repris ses fonctions de plus belle.

Autrefois au nom du Christ, puis au nom de la civilisation, désormais au nom de la laïcité. Laïcité devenue véritable religion avec sa morale, ses mœurs, ses tenues à porter, ses lieux interdits aux infidèles et ses temples prosélytes que sont les écoles. Avec une violence similaire à celle usée par les papes et évêques d’avant 1905, le clergé désormais laïque ne laisse pas passer une seule semaine sans vomir sa haine sur celles et ceux qu’elles estiment en non conformité avec son dogme. Un clergé qui peut compter sur l’aide de ses paroissiens, prêts à humilier et délatter n’importe quelle femme mahométane croisée dans la rue jugée trop islamisée. Avant pour ne pas porter de vêtements assez couvrant, aujourd’hui car portant de vêtements trop couvrant. Avant pour ne pas afficher sa foi en Dieu, aujourd’hui pour avoir commis le crime de le faire.

La France, pays le plus athée après la Corée du Nord et la Chine, semble ne plus arriver à assumer l’héritage libertaire que lui ont légué les Lumières et penseurs du XIXeme siècle.  Les notions de liberté et d’égalité semblent bien trop lourdes à porter. La tolérance est maintenant faiblesse, et la liberté semble ne se conjuguer qu’avec ce qu’autoriserait cette morale laïque se mettant doucement en place. Une morale n’autorisant droits similaires aux musulmans que si invisibilité il y a. Le culte doit se faire silencieux et privé, s’habiller, manger et penser différemment, il fera ainsi de vous un ennemi de la République, un être menaçant le vivre ensemble et la paix sociale, un fieffé  islamiste.

L’on parle ainsi de créer des camps de rétentions pour les musulmans jugés trop proches des tendances terroristes. L’on discute sur la possibilité d’interdire le voile dans l’ensemble de l’espace public. Des parents se voient empêchés de déménager à l’étranger, d’autres voient leurs enfants se faire enlever par la justice car soupçonnés de radicalisme. Des mosquées, associations et écoles musulmanes sont menacées de fermeture sur tout le territoire et tout ceci dans la réjouissance de tout un pan de la population française, persuadée du bien-fondé de cette nouvelle inquisition.

 »En fin de compte, nombre de républicains laïques français d’aujourd’hui se révèlent porteurs d’une mentalité religieuse. La laïcité, comme autrefois le patriotisme, s’avère, de nos jours, l’ultime refuge de l’infâme. » (2)

Seule et sûre d’elle

A l’étranger, les mots manquent pour qualifier la spirale mortifère dans laquelle est en train de plonger la France. Les journaux anglais, canadiens, hollandais ou américains n’en reviennent pas. Ils y voient un pays se couvrant de ridicule, se noyant dans les incohérences, et se tirant à chaque polémique une balle supplémentaire dans le pied. Sombrant dans la persécution anti-religieuse, l’islamophobie française fait les gros titres et choque les nations ayant longtemps pensé la France mère des libertés et de la justice. Du New york Times à The Guardian, c’est l’incompréhension totale. Courrier Internationnal en a rédigé un article des plus révélateur. Voyez-vous même :

 »Ces images nous obligent à nous poser la question : A partir de quand va-t-on permettre la comparaison avec les années 1930 et la persécution de ceux qui pensent autrement ?”

Cher peuple blanc de France : être obligée de me déshabiller n’est pas exactement l’idée que je me faisais de la libération. Il semble que l’oppression existe seulement dans le cas où un homme basané vous dicte la façon dont vous devez vous habiller ; quand il s’agit d’un homme blanc, on appelle ça la liberté.”

 »Ces images sont aussi grotesques que tristes, soulignant l’inadéquation profonde entre les idéaux affichés et leurs conséquences ; tout comme l’incompatibilité entre la menace imaginaire qui planerait sur la communauté nationale et les moyens utilisés pour lutter contre. Difficile de savoir quelles valeurs françaises sont défendues dans ce cas-là. Pas la liberté ; ni l’égalité ; ni la fraternité depuis que des femmes sont confrontées au choix de s’habiller pour se sentir bien ou de s’effacer elles-mêmes de l’espace public »

 »C’est toujours le même schéma : chaque fois que la France est victime d’un attentat, le monde entier sympathise sincèrement jusqu’à ce qu’il se rende compte, désillusionné par le comportement du pays à l’égard des musulmans, que la France n’a rien compris.”

Effectivement, comment un pays ciblé par les attentats pense pouvoir régler le problème en infligeant de pareilles humiliations à l’ensemble de la communauté musulmane à travers des lois et polémiques aussi fréquentes?

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Au moindre attentat, la réponse se traduit par une punition collective. Les musulmans sont sommés de se désolidariser des actes criminels commis en leur nom et punis car n’en faisant jamais assez. Leur visibilité religieuse est vue comme un refus de participer à la vie en société, et une volonté affirmée de faire le jeu des groupuscules violents de par le monde. Nul effort n’est fait quant à comprendre ou questionner le fait religieux, à en saisir les subtilités et les compréhensions. Tout le monde est mis dans le même sac. Les musulmans doivent s’intégrer, prouver leur attachement à la France, crier qu’ils sont contre le terrorisme, se doivent de se faire discrets pour ne pas choquer, et s’adapter aux délires islamophobes de celles et ceux qui les entourent. Pas de voile, pas de halal ici ou là, pas de barbe ou qamis, pas de mosquées car il y en a déjà assez, pas de connotation musulmane à un quelconque fait, mouvement, association ou entreprise. Si l’on tend la main, ils nous boufferont le bras!

Depuis 2004, on ne cesse de le rappeler, mais la France est seule dans sa lutte anti-voile et seule à cibler l’ensemble des musulmans après chaque attentat en agissant comme elle le fait. La Ligue des droits de l’homme, Amnesty internationnal, responsables politiques voisins, tous s’alignent sur la position suivante : lutter contre l’extrémisme religieux ne se fait pas en réduisant l’expression religieuse des individus et en la reléguant dans la sphère privée ; le droit des femmes ne réside pas en le seul fait de se dénuder, et la liberté ne se conjugue pas qu’avec ceux qui nous sont culturellement ou religieusement proches.

Mais si une partie des français et encore quelques personnalités politiques et intellectuelles tendent à s’ériger contre ce fondamentalisme laïque qui se dessine sous nos yeux, difficile de s’imaginer, au rythme des polémiques, lucidité et tolérance redevenir la norme. La majorité expressive et silencieuse semble définitivement lancée dans ce qui ressemble à une forme nouvelle d’inquisition. Une croisade laïque vendue comme seule rempart à la montée des extrémismes mais qui pour le moment ne semble que les confirmer et les nourrir.

Le burkini est pour le moment passé à travers les mailles du filet, mais le filet est lancé, et le chalutier se remplit d’année en année. Dans ce sens, il pourrait être tout justifié de se demander quelle sera la prochaine prise?

(1)Michel Sibony / http://www.ujfp.org/spip.php?article5106

(2) Shlomo Sand / http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1552646-arretes-anti-burkini-femmes-voilees-verbalisees-la-laicite-ultime-refuge-du-raciste.html

 

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