Se radicaliser ou ne pas être?

 

Déjà largement associé à l’islam(isme) aux lendemains des attentats du 11 septembre 2001, le terme est aujourd’hui omniprésent depuis la tuerie de Charlie Hebdo. Désignant le pont menant au terrorisme, le radicalisme à la sauce musulmane est devenu véritable enjeu national, lutte de tous les jours. Mais le terme est-il véritablement approprié?

De quoi parle-t-on?

Le terme renvoie au latin radicalis, qui lui renvoie à radix, en français, racine. Le radicalisme serait donc cette idée de revenir à la racine ou à l’origine de quelque chose. D’un point de vue politique, il s’agit de revenir aux fondements idéologiques d’un parti. C’est d’ailleurs en politique que le terme sera pour la première fois utilisé. Au XIXème siècle, le radicalisme désigne d’abord le parti radical de gauche et les idées de certains protagonistes politiques anglais. Développant les idées issues de la Révolution française, ces individus auront un commun goût du réformisme, et seront déjà accusés d’extrémisme par leurs opposants. On parle plus tard de se radicaliser en adhérant aux idées de ces socialistes et gauchistes révolutionnaires. Le CNRTL donne ainsi du radicalisme les définitions suivantes :

 »Attitude qui refuse tout compromis en allant jusqu’au bout de la logique de ses convictions »

 »Doctrine de ceux qui revendiquent l’héritage de 1789, marquée en particulier par l’anticléricalisme et la défense du suffrage universel »

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On parlera même de démocratie radicale, ou de radicalisme concernant la montée de l’athéisme. Mais à partir des années 2000, tombé en désuétude jusque là, le radicalisme se refera peau neuve en ne désignant plus que l’extrémisme, le fondamentalisme, le fanatisme religieux musulman. En France, pays ultra sécularisé et laïque, le glissement se fera très rapidement et le terme finira par englober toute expression musulmane visible et vécue comme une agression sur le sol républicain. Les actions dites de prévention et les débats politico-médiatiques faciliteront grandement l’ancrage de cette idée dans l’esprit des plus nombreux. Des prières de rue au voile, du non serrage de main aux demandes dites  »communautaristes », à chaque polémique visant les musulmans et l’islam en général, les notions de radicalisme ou de radicalisation viendront ainsi se greffer sans peu de contestations.

 

Dérive sémantique d’un processus pluri-idéologique

À partir de 2015, le ministère de l’intérieur lancera sa campagne stop djihadisme. Le radicalisme s’islamise officiellement, mieux encore, il se jihadise. Sont explicitement visés les  »changements de comportements familiaux, sociaux, scolaires, alimentaires, vestimentaires, linguistiques » motivés par un retour à l’islam d’un individu, préfigurant une possible dérive sectaire et un départ pour le jihad. Dans la bouche des élus ou de ceux concourrant à la présidence, la radicalisation ne concerne ainsi plus que ce processus interne à l’islam, désignant le développement identitaire et marqué de certains musulmans se faisant plus visibles et intransigeants que d’autres, avant de se jihadiser.

Pourtant, en lisant dépliants et livrets conçus à l’occasion, les définitions, toujours très floues et déconnectées de toute empreinte historique, semble bien viser un spectre plus large. Dans un livret nommé La radicalisation des jeunes, la chose est définie ainsi :  »La radicalisation, c’est l’action de rendre plus intransigeant le discours ou l’action ». On trouve aussi :  »La radicalisation peut s’exprimer par la contestation violente de l’ordre public et de la société, ainsi que par la marginalisation vis-à-vis de celle-ci ». La pratique musulmane n’est pas explicitement ciblée, mais le propos n’est pour le moins pas rassurant. Car si l’intransigeance dans le discours, ou une certaine marginalisation de l’individu face à sa société semble inquiéter l’Etat, c’est tout un tas de groupes humains bien définis qui sont alors visés. Altermondialistes, anarchistes, catholiques traditionnels ou juifs orthodoxes ont tous une certaine propension à se montrer intransigeants tant dans le discours que dans l’action. Nous pourrions aussi trouver tout autant d’intransigeance dans le discours des plus zélés démocrates et laïques, comme chez les athées ou hédonistes convaincus. Mais que les laïcistes et consorts se rassurent, le discours s’accompagnant simultanément de références à la situation syrienne, au salafisme ou au terrorisme jihadiste, la plèbe ne songera nullement à eux. Des références alors essentielles en vue de criminaliser un processus, de par sa définition, pluri-idéologique et non irrémédiablement violent ou terrorisant.

 

Radicalisme n’est pas violence

Car oui, se radicaliser ne conduit pas forcément à faire acte de violence. On a vu qu’être radical, est étymologiquement lié à l’action/l’idée de revenir à la racine de quelque chose. Ce retour peut tout autant s’opérer dans une certaine violence comme dans le pacifisme le plus officiel. Sortant du domaine des idées, dans la pratique, la gauche radicale a été ainsi décrite non pas à cause d’une propension à la violence dans le discours ou dans l’action plus appréciée qu’ailleurs, mais bien de par son opposition (radicale) à la droite monarchiste. On peut alors parler de radicalement s’opposer à, d’être radicalement de gauche. Nul enclin clair et établit à la violence physique, verbale ou au terrorisme.

Comment donc justifier une lutte contre de simples changements de comportements ou postures idéologiques sans entrer en confrontation avec le droit et les libertés individuelles, garanties par la Constitution et les déclarations signées, voir réalisées par la France? Condamner avant qu’acte délictueux soit commis? Curieux. Est-ce le signe d’une volonté de l’Etat de ne tolérer que certaines idées, idéologies et comportements et non d’autres? De criminaliser tels idéaux car trop en opposition avec la pensée dominante et désirée par un Etat de plus en plus soucieux d’imposer sa doxa? Probable.

 

Radicalisé ou ne pas être?

La radicalité n’étant pas en soi dangereuse, le musulman décrit comme tel, doit-il ainsi se dédouaner de cette appellation si celle-ci lui est volontairement collée sur le front? Si la radicalité signifie bien ce retour aux racines et fondements d’une chose, (l’islam ici en l’occurrence) et en l’opposition aux idées rivalisant avec ses principes, non? Mais pour beaucoup, polémiques et débats aidant, la radicalité musulmane est intrinsèquement mortifère. La lecture de l’islam des individus violents et terrorisants, faisant la une de nos journaux, est effectivement une lecture radicale (dans le sens de s’opposer à), certes, mais radicale, et violente. Elle n’est pas radicale dans le sens de revenir à la source et aux racines de l’islam, sinon, ce serait dans ce cas concevoir l’islam comme étant à la source problématique, car par nature violent. La violence ici s’ajoute à une certaine forme de radicalité.

D’où l’importance de savoir au préalable se mettre d’accord sur les définitions que l’on donne aux termes que l’on use. La radicalité est une chose, la violence en est une autre, elles se combinent mais ne sont pas indissociables. Le radicalisme n’est ainsi rien de plus qu’une posture idéologique et identitaire affirmée, déterminant un engagement pris, selon des règles ou principes s’opposant à un idéal autre et défini.

L’auteur Aissam Ait Yahya, considéré justement comme radical par Le Point, disait en ce sens, sur le blog de la maison d’éditions Nawa, la chose suivante :

Dès lors, il est clair que je suis perçu comme «radical» par certains, car refusant d’adopter le Juste Milieu défini par un système avec lequel je n’ai pas à avoir à transiger, si je ne le souhaite pas. La limite comme pour toute personne dans ce pays est la loi, rien que la loi, dont j’ai le droit «constitutionnel» mais aussi humain et incontestable de contester la légitimité. (…) Et dans ce cas j’invite les lecteurs à comprendre que l’adjectif «radical» dans un environnement tel que le nôtre est tout sauf une insulte, en lisant ce qu’en disait le politologue allemand Hans Herman Hope : «En fait, il ne faut jamais avoir la moindre hésitation à s’engager dans un radicalisme («extrémisme») idéologique. Non seulement tout le reste serait contre-productif, mais plus important encore, seulement les idées radicales, en effet, des idées radicalement simples peuvent remuer les émotions des masses ternes et indolentes. Et rien n’est plus efficace, pour persuader les masses, que de cesser de coopérer avec le gouvernement et que d’exposer de façon constante et sans relâche, la dé-sanctification et le ridicule des gouvernements et de ses représentants comme des fraudes morales et économiques : empereurs sans vêtements sujets au mépris et cibles de toutes les moqueries»

Se dédouaner de terminologies qui n’ont finalement rien de péjoratif ou de dévalorisant revient à donner crédit aux sens dévoyés que leur donnent ceux qu’en font mauvais usage. Ne laissons pas le langage tomber dans les crocs acérés de ceux qui en use d’une manière déconvenue, soyons aptes à se le réapproprier et à en user de la meilleure des manières!

 

 

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