Où en est la démocratie en Libye?

Mi-juillet, Libye, 3 membres de la DGSE française perdent la vie dans ce qui sera selon les autorités françaises un accident d’hélicoptère. Les libyens crient à la violation de territoire, les français noient le poisson et font mine de se concentrer sur la menace terroriste planant sur leur sol.

Mais que se passe-t-il donc dans la patrie de Kadhafi?

Inutile de revenir sur le fiasco de l’invasion française qui eut lieu en 2011 visant à destituer l’un des plus gros donateur de la campagne sarkoziste, froidement lynché comme le plus vulgaire des malfrats.

Les politiciens et patrons de presses ont su habilement tourner la page afin d’éloigner les regards indiscrets sur ce qui est devenu un véritable drame national pour les premiers concernés. L’armée française est repartie, enfin en théorie, et l’on a laissé les libyens se débrouiller avec les miettes laissées.

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Rencontre à Paris entre Nicolas et Muhammar peu de temps avant l’assassinat prémédité de l’un par l’autre

Qui gouverne quoi?

Peu après la destitution de Muhammar Kadhafi, un Conseil National de Transition fut mis en place afin de démocratiser le pays et rétablir l’union nationale nécessaire. Mustapha Abdel Jalil en devint le président. Mais ayant travaillé pour le régime auparavant et souhaitant, au grand dam des occidentaux, rétablir la chariah (bien qu’allégée), il se voit poussé gentiment vers la porte de sortie. Muhammad Ali Selim reprendra la main.

Le cyrénaïque, à l’est du pays déclare son autonomie, le CNT se mute en Conseil Général National, et malgré l’organisation de la première élection démocratique du pays, les membres élus du conseil éprouvent des difficultés à s’entendre quant à l’avenir du pays.

En 2014, le CGN mutant à nouveau en une Chambre des représentants, décide de déménager à Tobrouk. Tripoli est en effet trop dangereuse. Les attentats se succèdent et l’ordre peine à s’instaurer. Une coalition de groupes rebelles (des islamistes dans le langage occidental) en profitent pour se saisir de Tripoli et reprendre à leur compte la tenue du Conseil Général National.

Deux gouvernements se font alors face, celui de Tripoli, et celui de Tobrouk. Le choix sera vite fait, seul le second bénéficiera de l’appui de la communauté internationale.

Pour rajouter du piment à ce plat déjà indigeste qu’est devenu le pays, Daesh réussit à s’implanter en prenant position dans certaines localités. On se souviendra de l’un de leurs clips les plus réussis, où tenue orange sur le dos, des migrants éthiopiens, chrétiens, se feront décapiter en rang au bord de la plage par de gentils bons hommes en noirs. Un sort similaire sera réservé à un groupe d’égyptiens, chrétiens encore une fois.

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Il n’en fallait pas plus pour que le communauté internationale décide de prendre un peu de son temps pour trouver solution à ce problème. Le 12 mars 2016 est ainsi formé (encore) un nouveau gouvernement, avec à sa tête Fayez al Sarraj. Gouvernement rejeté bien évidemment par les islamistes de Tripoli, mais aussi par le gouvernement – jusque là appuyé par les occidentaux – de Tobrouk.

Pourtant, les deux parties avaient donné leur accord, quelques mois plus tôt, sous l’égide de l’ONU, quant à la nomination de ce gouvernement d’unité nationale. Mais celui-ci ne trouve pas confiance dans le cœur des deux partis. Grâce à l’appui des occidentaux, il réussit tout de même à s’installer, en dépit des violences, à Tripoli pour finir par obtenir un vote favorable des parlementaires de Tobrouk.

Le pétrole, jusque là sous la garde du gouvernement de Tobrouk est cédé à la nouvelle présidence, quand une cellule d’opérations militaires est créée afin de lutter contre les daeshistes locaux. Mais alors que la communauté internationale dit reconnaître cette nouvelle autorité, qu’elle a elle-même souhaitée, elle continue pourtant, à travailler de pair avec le gouvernement de Tobrouk à l’est du pays. Pas si illégitime que ça le gouvernement de Tobrouk…

Les français sont partout!

Ainsi, si la présence des trois soldats français fut vivement critiquée par le gouvernement d’unité nationale, à Tripoli, il n’en fut pas ainsi plus à l’est. Le général Saqr al-Jarouchi, chef de l’aviation du gouvernement de Tobrouk, a ainsi publiquement affirmé en réponse, qu’américains, britanniques et français étaient déjà bien présents dans la région, dans le but de surveiller les troupes daeshistes.

Les occidentaux travailleraient donc avec le gouvernement illégitime de Tobrouk, dont le général Haftar, pourtant accusé de crimes de guerres, en tire les rennes des forces armées présentes : l’armée nationale libyenne. Étrange ménage à 3, ou à 4, ou à on ne sait plus à très bien combien.

 »On est face à une contradiction. La France soutient le gouvernement légitime reconnu de Tripoli, qui n’est pas en très bon terme avec le général Haftar, mais le fait que les forces françaises soient présentes à Benghazi montrent qu’elles sont forcément du côté du général Haftar contre les factions jihadistes »(1)

Le Pentagone ne s’en est d’ailleurs jamais caché, il affirmait déjà en mai avoir de petites équipes sur place, conseillant les forces armées luttant contre Daesh. Le Monde avait même, en février, affirmé la présence de troupes françaises dans le désert libyen. Affirmation confirmée tout doucement par le ministère de la défense française.

Dans le match opposant l’est et la capitale, ce fut peut-être la goutte de trop.

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Mr Le Driand, ministre de la défense, en Libye, avec des soldats français

Mais la prise de Syrthe, aux mains des hommes en noir, par l’armée du gouvernement de Tripoli risque de décroitre d’avantage encore, la suprématie du général Haftar à l’est. Vers un futur contrôle total de la région par le gouvernement d’union nationale? L’avenir nous le dira.

En attendant, les autorités tripolitaines sont en colère, et les foules aussi. D’importantes manifestations ont eu lieu au lendemain de la mort des membres de la DGSE, dans la capitale à l’égard de la présence française sur le sol libyen.

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Manifestation anti-française, le 20/07/2016, à Tripoli

Une présence vécue comme une agression, une traitrise, et qui ne fait pour le moment qu’attiser d’avantage le clivage entre le gouvernement national et celui de Tobrouk.

 »Nous sommes ici pour condamner l’agression par des traîtres français sur notre sol, des traîtres qui tentent de garder secret ce qui se passe à Benghazi et de défendre le criminel de guerre qu’est le général Haftar »(2)

Pour couronner le tout, le dernier fils vivant du Général Khaddafi, Sayf al Islam, aurait été libéré par la milice qui le détenait jusque là, dans la province gouvernée par Tobrouk. Le gouvernement de cette dernière l’ayant amnistié, Sayf ne craint plus rien de ce dernier. Mais si les uns confirment sa libération, d’autres démentent ouvertement. Libre, toujours en prison, ou servant de monnaie d’échange entre tribus rivales, on n’en sait difficilement plus.

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Sayf al Islam, dans sa suite pénitencière

On a pu voir ici et là des foules scandant son retour, le portrait du concerné dans les mains. Si les pro-kadhafi souhaitent bien entendu son investiture à la présidence, il bénéficie aussi de soutiens au sein d’autres mouvements, voyant en lui le seul protagoniste capable de pouvoir réconcilier les différentes parties adverses.

Trois gouvernements, des milices armées, Daesh, des tribus autonomes n’ayant rejoint aucun parti de peur de voir le vent tourné en leur défaveur, la Libye ne semble pas au bout de ses peines…

Et BHL, il en pense quoi de tout ça..? Paraît il qu’il s’intéresserait maintenant à l’Algérie…

 

 

  1. William Nasr / http://www.france24.com/fr/20160721-libye-gouvernement-union-nationale-accuse-france-violation-territoire-general-haftar
  2. Sami Mostafa al-Saadi, président des Aînés et Notables au Centre de conseil de Tripoli / http://www.france24.com/fr/20160721-libye-gouvernement-union-nationale-accuse-france-violation-territoire-general-haftar

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