Vikings et musulmans, le choc d’une rencontre

Vikings et musulmans, des individus que tout semble opposer, des mœurs à la distance géographique. Pourtant, entre conflits et échanges cordiaux, les contacts entre les deux géants, respectivement au sommet de leur gloire, furent nombreux, et surtout très documentés.

Le choc des titans

Appelés Majûs, car assimilés aux adorateurs du feu que sont les zoroastriens, Rûs ou Barinqar, les vikings (nom donné aux combattants des peuplades de Scandinavie). C’est en 795 qu’ils rencontreront pour la première fois les troupes arabesIls combattent alors ces derniers, depuis peu en Europe, en compagnie des Asturiens au nord de l’Espagne, 6 années à peine après leur premier raid connu en dehors de Scandinavie. En 816, nous savons aussi qu’un chef Viking du nom de Saltan est tué en combattant aux côtés des Navarrais et des Gascons contre les mêmes Arabes. Ce qui prouve leur durable implantation sur la côte atlantique franco-espagnole durant un certain temps. 

Grands commerçants, notamment d’esclaves et d’armes, ils aimaient à voguer dans leurs drakkars à la recherche de terres à piller entre deux échanges commerciaux. C’est ainsi qu’ils accostèrent après l’Espagne, au Portugal, au milieu de IXème siècle, alors dominé par les musulmans.

En 844, le gouverneur de Lisbone, Whaballah ibn Hazm, voyant arriver près d’une centaine de vaisseaux sur ses terres, en alerte alors l’émir Ommeyade d’Andalousie, Abd ar Rahman II, siégeant à Cordoue. L’armée musulmane vient ainsi en renfort et parvient à décimer le plus gros des 13 000 hommes que compte en leur rang les vikings. Leur chef est dans un même temps tué. Face à la défaite, les vikings, qui surent se maintenir à Séville durant tout un mois, réclament la paix à l’émir des croyants. 

Paix accordée, l’émir décide d’envoyer de ses hommes en territoire viking. Un homme dénommé Yahya ibn Hakam, y sera envoyé en tant qu’ambassadeur. Plus connu sous le nom d’Al Ghazal, il passera ainsi, en compagnie d’autres musulmans, 20 mois en pays viking à plusieurs milliers de kilomètres de là, sur ce qui serait alors une île. Certaines anecdotes intéressantes peuvent être retrouvées dans les écrits de ce dernier. On apprend qu’en arrivant auprès du roi des vikings, Al Ghazal fait comprendre à ce dernier que lui et ses compagnons ne poseront point le genou à terre face à lui, et ne feront rien de contraire à la législation islamique. Ce à quoi le Roi se plia, tout en tentant de les contraindre à tout de même s’agenouiller face à lui, leur faisant emprunter une porte trop basse pour un homme debout… Il est dit aussi que pendant ces 20 mois de présence, la reine fut très intriguée par ces nouveaux arrivants et questionna beaucoup Al Ghazal sur sa religion.

Mais en 858, les vikings tentent de nouvelles attaques sur les côtes ibériques. Tout le pourtour espagnol jusqu’aux îles Baléares est mis à sac. Ils s’en prennent même à certaines localités côtières du Maroc, de la France et de l’Italie. Mais au retour, après deux années de raids, les 82 drakkars vikings seront pris à parti en tentant de franchir le très étroit Détroit de Gibraltar, par la nouvelle flotte conçue pour l’occasion, du nouvel émir Muhammad Ier.

Ils remettront une dernière fois le pied en territoire musulman un siècle plus tard, en 966 puis en 971. Mais encore une fois, malgré avoir su piller quelques villes, ils durent à nouveau gouter à la défaite face à la flotte du calife al Hakam II.

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Mais installés depuis plusieurs générations au Royaume Uni et en Normandie, les vikings locaux commencent à se muer en un peuple distinct, que l’on nommera Normands. S’imprégnant des cultures locales, se mariant aux femmes présentes en territoire annexé, l’esprit viking tend à s’estomper avec le temps. Ce sont ces Normands qui s’empareront un siècle plus tard de la Sicile et d’une partie de l’Italie, avant de s’engager, encore plus tard dans les croisades et la reconquista espagnole aux côtés des chefs chrétiens. Malgré leur conversion au christianisme déjà totale, les Normands, descendants de vikings établis en Méditerranée adopteront une identité culturelle extrêmement proche des arabos-musulmans jusque là présents.

Le 13ème guerrier en pays Bulgare

De l’autre côté de l’Europe, dans ce qui sera plus tard la Russie, Vikings et musulmans eurent aussi l’occasion de se rencontrer.

Des chroniqueurs musulmans tels que Ibn Khurradadhbeh, al Mas’udi, Ibn Rustah, et al-Mukaddasî feront largement mention, entre le IXème et le Xème siècle, de ces Rus ou Russiyah dans leurs écrits. Mais le récit le plus connu, notamment grâce à son adaptation cinématographique, restera celui d’ibn Fadlan

Juriste et voyageur reconnu à la cour de Baghdad, il sera envoyé en 921 comme secrétaire de l’ambassadeur du califat abasside au roi des bulgares. Grâce à un manuscrit du XIIIème siècle retrouvé en Turquie en 1923, on a pu remettre la main sur les 30 pages du texte relatant son voyage en leur pays. Voyage qui avait pour but premier d’expliquer les règles de loi islamique aux récents convertis bulgares (une partie d’entre eux donna nom à la Bulgarie moderne) présents dans l’Est du pays Volga, actuelle région russe. Leur roi, un certain Yiltiwâr, avait demandé au calife  »de lui envoyer quelqu’un qui put l’instruire dans la religion, lui enseigner les lois de l’islam, lui construire une mosquée afin qu’il puisse y faire la prière en son nom dans son pays et dans toutes les contrées de son royaume. »(1). La seconde partie de leur mission consista à venir en aide au Roi contre les voisins Khazars.

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Durant son voyage, il rencontra diverses peuplades turco-mongoles, chrétiennes, polythéistes comme juives, jusqu’à arriver près d’un an plus tard en capitale Volga. Rencontrant les vikings présents sur le territoire, il en fera une description des plus authentiques, dont en voici quelques lignes :

 »J’ai vu les Rûs, qui étaient venus pour leur commerce et étaient descendus près du fleuve Ati!. Je n’ai jamais vu corps plus parfaits que les leurs. Par leur taille, on dirait des palmiers. Ils sont blonds et de teint vermeil. Ils ne portent ni tuniques, ni caftans, mais les hommes chez eux ont un vêtement qui leur couvre un côté du corps et leur laisse une main libre. Chacun d’eux a avec lui une hache, un sabre et un couteau et ne quitte rien de ce que nous venons de mentionner »(2)

Il assiste aussi aux obsèques d’un de leurs chefs. La coutume veut alors qu’un sacrifice humain s’en suive. Ce jour là, c’est une jeune esclave qui se porte volontaire pour quitter ce bas monde en compagnie du défunt:

Je vis que la jeune fille avait l’esprit égaré, elle voulut entrer dans le pavillon, mais elle mit la tête entre le pavillon et le bateau. Alors la vieille femme lui saisit la tête, la fit entrer dans le pavillon et entra avec elle. Alors les hommes se mirent à frapper avec des gourdins sur les boucliers afin qu’on n’entendît pas le bruit de ses cris, que les autres filles-esclaves ne fussent pas effrayées et ne cherchassent pas à éviter la mort avec leurs maîtres. Ensuite, six hommes entrèrent dans le pavillon et cohabitèrent tous, l’un après l’autre, avec la jeune fille. Ensuite, ils la couchèrent à côté de son maître. Deux saisirent ses deux pieds, deux autres saisirent ses mains; la vieille, appelée l’Ange de la mort arriva, lui mit sur le cou une corde de façon que les deux extrémités divergeassent et la donna à deux hommes afin qu’ils tirassent sur la corde. Puis, elle s’approcha d’elle, tenant un poignard à large lame, et elle se mit à le lui enfoncer entre les côtes et le retirer tandis que les deux hommes l’étranglèrent avec la corde, jusqu’à ce qu’elle fut morte… Il y avait à côté de moi un homme des Rûs, et je l’entendis qui parlait à l’interprète qui était avec moi. Je demandai à ce dernier ce qu’il avait dit. Il me répondit: « Il dit : vous autres Arabes, vous êtes des sots» – « Pourquoi ? «lui demandai-je.- «Il dit : vous prenez l’homme qui vous est le plus cher et que vous honorez le plus, vous le mettez dans la terre et les insectes et les vers le mangent. Nous, nous le brûlons dans le feu en un clin d’œil, si bien qu’il entre immédiatement et sur le champ au paradis ». Puis il se mit à rire d’un rire démesuré ».(3)

Quant à leurs mœurs, le voyageur arabe dut en être des plus déstabilisés. Dans son récit, il explique comment ces derniers s’adonnent au délice du vin et de la chaire avec leurs esclaves :

 »Ils se livrent sans mesure à la consommation du nabidh (vin) qu’ils boivent nuit et jour au point que parfois l’un d’entre eux meurt la coupe à la main. »(4)

 »Dans une seule et même de ces maisons sont réunis dix et vingt per- sonnes, plus ou moins. Chacun a un lit sur lequel il s’assied. Avec eux sont de belles jeunes filles esclaves destinées aux marchands. Chacun d’entre eux, sous les yeux de son compagnon, a des rapports sexuels avec son esclave. Parfois tout un groupe d’entre eux s’unissent de cette manière, les uns en face des autres. Si un marchand entre à ce moment pour acheter à l’un d’entre eux une jeune esclave et le trouve en train de cohabiter avec elle, l’homme ne se détache pas d’elle avant d’avoir satisfait son besoin »(5)

Si les vikings furent sans foi véritable, la loi était néanmoins respectée et implacable :

 »S’ils attrapent un voleur ou un brigand, ils le conduisent à un gros arbre, lui attachent au cou une corde solide et le suspendant à cet arbre où il reste pendu jusqu’à ce qu’il tombe en morceau sous l’effet des vents ou des pluies »(6)

Son récit nous apprend que les vikings sont alors de grands amateurs d’argent. Lingots, pièces, métaux divers étaient très convoités. Ibn Fadlan les décrit comme obsédés par la recherche d’échanges profitables, priant des idoles de bois afin d’exceller dans les affaires. C’est ainsi que des milliers de dirhams furent retrouvés en Scandinavie des siècles plus tard. Une bague est même retrouvée près de Stockholm dans la tombe d’une femme, sur laquelle fut gravé pour Allah en caractère arabe.

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Des convertis parmi ces vaillants nordiques?

Dans un documentaire de la BBC intitulé “History of the World: Into the Light”, Andrew Marr explique que les vikings furent un jour proche de la conversion à l’islam suite à l’hésitation de leur roi d’alors, hésitant quant à la religion qu’il chercha à adopter. Dans un mémoire rédigé au XVIème siècle par le géographe Amin Razi, la conversion de certains semble être clairement explicitée, tout comme la difficulté qu’ils auraient alors à se séparer de leur amour de la viande de porc, bien qu’ayant embrassé l’islam… Omar Mubaidin relate pour sa part qu’après les raids vikings en Espagne, certains restés sur place se convertirent eux aussi à la religion musulmane.

Quoiqu’il en soit, si les musulmans ont su traverser le temps, non sans y laisser quelques plumes, les vikings ont fini par totalement disparaître, se noyant dans la masse ou mourant au combat. On entendra ainsi difficilement parler d’eux après le XIIIème siècle.

 

(1)Ibn Fadlan, Chez les russes, page 317

(2)op. cit. page 319

(3)op. cit. page 319

(4)op. cit. Page 319

(5)op. cit. Page 320

(6)op. cit. Page 320

 

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