Le voile, de l’exclusion à l’inclusion

À une époque où faire preuve de pudeur est un fait étrange, où relâcher le vêtement est devenu norme, certaines femmes innovent et tendent à emprunter un cheminement inverse.

Plus ou moins long, plus ou moins ample, austère ou vif, le voile s’invite sur de plus en plus de têtes et de silhouettes. Un voile remplaçant le survet’ Lacoste et le jeans décousu de bon nombre de jeunes femmes, accompagnant le revirement identitaire opéré par toute une nouvelle génération.

Si la beurette des années black blanc beur espérait encore qu’on allait finir par la considérer avec respect, attendant pouvoir goûter un jour à l’égalité trinitaire, sa descendante post 2001 ne se fait plus d’illusions. Si étrangère je suis, autant l’être jusqu’au bout. La maman a eu beau retirer son voile pour faire le ménage dans les hôtels, le papa raser sa barbe et tout acquiescer à son patron toute sa vie, ça ne les a pas fait sortir des cages à poules bétonnées dans lesquelles ils passeront leur retraite.

Sans identité fixe, oscillant entre celle que la France hésite à lui attribuer et celles de ses parents, que l’on lui nie à chaque vacances au bled, la franco-immigrée qu’elle serait, tend à se réapproprier la seule identité que l’on ne saurait lui nier, celle de musulmane. Il s’agit de regagner la religion de ses pères, trop longtemps victime de l’immobilisme de ses fidèles.

Un réinvestissement religieux se matérialisant à travers divers us et pratiques, une éthique nouvelle et un écrasement de son égo et de ses désirs. Le désir de se montrer, d’être vu, de plaire qui doit dans une logique continuité se soustraire sous un vêtement plus digne et plus humanisant. 

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Ainsi, en dissimulant son corps et ce qu’elle s’arroge le droit de ne pas montrer, elle ne fait plus de celui-ci un objet que l’on contemple à sa guise, que l’on juge, aime ou rejette selon le seul critère esthétique, ou influencé par un quelconque désir sexuel, mais quelque chose de secondaire, disponible pour celui à qui elle aura donné le droit de pouvoir en jouir.

Elle décide de ne montrer son corps qu’à ceux qu’elle en aura décidé. Elle s’est donnée une autre mission que de guetter les plaisirs éphémères, trouver refuge et désir dans le regard de l’autre. Elle a choisi de se préparer pour un Au Delà dont elle croit ne pouvoir y parvenir en toute sérénité qu’en suivant le chemin des Prophètes, vertueux et vertueuses avant elle, dont la pudeur fut une caractéristique indiscutée.

Pour la convertie, blanche et dite de souche, si le cheminement diffère, les objectifs et conséquences en sont les mêmes. Elle s’arabise, se pare des mêmes tissus et change son fusil d’épaule en intégrant le groupe de l’autre. De l’extérieur, elle devient cette autre.

De l’échec social

Un cheminement qui ne se fait pas sans son lot d’épreuves. Nulle femme ne couvrira son corps et ses cheveux à la vue d’hommes étrangers sans se voir ostracisée et mise au banc. Entendons nous bien, nous parlons d’un lieu et d’une époque précise, celle de la France du XXIème siècle.

Soumise, provocatrice, mal intégrée, intégriste salafisée, les qualificatifs se sont successivement multipliés sur le front de cette vilaine pudique pour tenter de mieux la discréditer. Elle affirme que c’est un choix mais on ne la croit pas. Un choix qui pour beaucoup n’en est pas un car contraintes par d’encore plus vilains barbus, ou incapable d’opérer à une quelconque introspection. Elle ne percevrait pas l’état de servilité dans lequel elle se serait mise de plein gré.

Oui la voilée est bête, et a donc besoin qu’on la libère.

Une libération par les études et le travail? Facteurs ô comment décisifs dans l’émancipation d’une personne, si l’on en croit l’essentiel des discours féministes et progressistes. Non, car on lui empêchera de pouvoir se diplômer et travailler comme les autres, justement à cause de fameux voile. Ou comment les premiers à empêcher la voilée de pouvoir sortir de sa cuisine ne sont pas ceux que l’on croit… Plus que de l’empêcher d’en sortir, il font des pieds et des mains pour qu’elle y retourne.

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Wahiba Khallouki, jeune diplômée, voilée et désormais community manager à son compte, racontait dans une interview  accordée à Rokhaya Diallo qu’un professionnel lui avait clairement annoncé qu’un transsexuel avait plus de chance de réussite dans le milieu de la publicité. Trouver un emploi, voilée, en France, revient à peu de choses près à la même chose que de chercher un poste de pasteur en Arabie Saoudite. La seule chose que l’employeur verra sera généralement ce vêtement dont lui parle tant de gens à la télévision voyant l’islam en France comme une épine dans un pied. Un vêtement qui la rendrait indésirable face à des clients, pas assez neutres à côté de ses collègues ou peut-être trop radicalisée pour pouvoir lui faire confiance.

Sans oublier que pour beaucoup, la religion, c’est quelque chose de vilain et honteux, si honteux que ça ne devrait se pratiquer que chez soi ou dans un lieux dédié, mais surtout loin des regards. Idem pour intégrer un doctorat ou un stage, ou pour toute autre opération nécessitant de devoir passer par un filtre humain, comprenez une personne décidant de ce que vous pourriez ou ne pourriez pas faire dans un avenir proche.

Se voiler est ainsi un très bon moyen de planifier son suicide social en toute quiétude. À quelques exceptions près bien sûr, il y a encore des âmes charitables dans cette bonne vieille France judéo-laïco-chretienne, aptes à tolérer cet accoutrement barbaresque dans leur périmètre d’évolution. Mais n’est pas tolérant qui veut.

Empêchée de suivre une scolarité dans le public, progressivement empêchée de pouvoir étudier, en présentielle comme à distance à la fac ou en école, refusée d’office aux entretiens d’embauche, et traitée comme la dernière imbécile du coin par toutes les institutions auxquelles elle sera confronté, la voilée prend ainsi le risque de devenir cette seule silhouette que l’on croise au détour d’un carrefour ou en faisant ses courses. On parle d’elle, sans elle. On l’étudie sans jamais en approcher le micro de sa bouche. On la hait parce que se faisant garante d’un idéal de pudicité teinté de foi monothéiste. Et en pleine évangélisation laïque, madame fait forcement tâche.

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A l’adhésion au groupe sauvé 

Mais si ce voile empêche l’intégration, voir l’assimilation de son hôte dans la communauté française, il en permet l’entrée dans une autre. La communauté musulmane. Une communauté que certaines s’empressent ainsi de rejoindre à travers tout l’apparat nécessaire et marquant la rupture d’avec l’ancien. La société ne veut pas d’elle, elle en retourne aux siens. Les siens auprès desquels elle trouve acceptation, amour et réconfort, et désormais une identité dans laquelle elle se sent à l’aise et qu’elle peut partager avec ses semblables.

À chaque tendance et mouvement de pensée son degré d’orthodoxie et donc son esthétisme propre. Petit foulard et pantalon pour les unes, abaya et niqab noir pour les autres, au choix selon le groupe à intégrer. Pour les plus couvertes, c’est ce sentiment d’appartenir à une certaine élite musulmane qui va se manifester en certaines. Les regards changent, les garçons s’écartent de son chemin, des hommes pieux veulent la marier, et l’on viens désormais la questionner dans sa famille sur les règles de la prière ou du paraître. En plus d’intégrer une nouvelle communauté elle se sent toute valorisée et importante. 

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Ayant grandi avec la loi de 2004, puis avec celle de 2011 contre le niqab, porter le voile n’est ainsi pour certaines pas qu’une simple obligation religieuse, une marque de pudeur, un désir de réserver son corps à l’homme de son choix. C’est aussi une façon subversive de refuser un certain ordre établi et d’afficher clairement sa volonté de ne plus plier face à l’intolérance et l’animosité anti musulmane nationale. L’islam a aussi la côte, ça effraie, ça en jette et dérange la bourgeoise qui lui face dans le métro. Faire front, ré-intégrer sa communauté, tout en affichant sa piété. Et on le voit depuis 2011, jamais autant de jeunes femmes, même pas encore mariées et découvrant à peine leur religion, ne se sont empressées de dissimuler leur visage derrière un long tissu noir.

Ainsi, entre militantisme et pudeur, provocation et crainte du châtiment divin, les profils diffèrent et les motivations aussi. Des motivations qui peuvent toutes à la foi traverser une même personne. Il serait ainsi dangereux de réduire, comme le font les voilophobes nationaux, en contant parfois les rares récits d’anciennes voilées malmenées, les femmes voilées à un seul de ces profils. Elles sont diverses et plurielles. Elles ne sont finalement que des femmes comme les autres, avec leurs raisons, histoires et motivations.

Quoiqu’il en soit, on ne peux que s’incliner devant le courage de toute celles décidant un matin de renoncer au modèle féminin qu’on a depuis son plus jeune âge tenté de lui faire adorer.  Et ce par véritable cheminement personnel, spirituel et réfléchit. Renonçant au diktat de la mode, du moins dans les grandes lignes, et affrontant de plein gré l’islamophobie dont elles sont les premières victimes, elles ne méritent, rien que pour cela, que notre plus grand respect. 

 

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