Une féministe à Ryad

 

 

L’Arabie Saoudite est régulièrement attaquée par l’Occident pour le traitement qu’elle réserve à sa moitié féminine.

Pour cause, l’interdiction au sexe faible de pouvoir se déplacer sans l’autorisation d’un tuteur, de conduire ou de jouir des exactes mêmes droits que leurs homologues masculins. Les femmes du royaume semblent n’être que de sombres silhouettes inaudibles, soumises à un patriarcat d’un autre âge, incapables de pouvoir prendre leur destinée en main.

Et pourtant, un regard sur la production intellectuelle et écrite du pays suffisent à remarquer le succès que rencontre les auteures et militantes féministes auprès de la population saoudienne. Un féminisme saoudien? Qui l’eut cru. Mais pas n’importe lequel.

Allah plutôt que Simone De Beauvoir

Pour Fatima Naseef ou Nûra Al-Sa’ad et d’autres prédicatrices et activistes reconnues, il n’est pas question de militer pour avoir le droit de porter la mini jupe ou fumer des Camel, et encore moins de chercher à retirer le long voile noire qu’elles portent sur la tête. Leur combat est tout autre. Depuis le début des années 90, ces femmes se battent pour un enseignement de l’islam plus juste et moins patriarcal, destiné à faire ressortir de l’islam ce qui pourrait permettre d’améliorer leur situation de femme.

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L’idée n’est pas d’aller à contre courant de l’orthodoxie musulmane et des savants saoudiens, mais bien au contraire de s’appuyer sur cette orthodoxie, pour permettre ainsi de distinguer ce qui relève de l’islam et de la tradition. Rejetant le féminisme occidental, s’opposant foncièrement à l’islam, ces associations féministes saoudiennes revendiquent ainsi une distinction doctrinale, entre les obligations rituelles et religieuses fixes et les règles sociales susceptibles d’évoluer. En réaffirmant le corpus de textes religieux, elles cherchent ainsi à lutter contres les violences familiales et à une intégration sociale des femmes plus concrètes, en leur octroyant une place dans les milieux professionnels et à bien sûr, une plus grande autonomie. Il s’agit de disqualifier les pratiques discriminatoires courantes sans fondement religieux identifiable.

L’européanisation des mœurs, le libéralisme sexuel et la non mixité sont ainsi occultés. Le fait que la plupart des secteurs professionnels soient séparés n’est ainsi que très peu remis en cause, au contraire, il garantirait l’employabilité des femmes saoudiennes. De même que le droit de conduire, pourtant peu justifiable islamiquement. Une pétition avait été lancée en 2010 pour obtenir le droit au permis de conduire pour les femmes, elle ne rassembla que 500 signatures. Peur des répercussions pour les unes ou refus de bousculer certaines normes établies pour les autres. Il y a aussi cette idée que le pouvoir en place ne soit pas le principal terreau de l’injustice masculine dont elles seraient victimes. Bien au contraire, depuis 2001, le royaume fait régulièrement de fortes avancées en la matière et se montre assez réceptif à la cause féminine. La sociologue Amélie LeRenard avait d’ailleurs démontré dans une étude à la fin des années 2000 que les revendications étaient surtout portées contre les traditions familiales plus que contre la dynastie Saoud.

Dans la foulée de l’ouverture des universités aux femmes, les prédicatrices et militantes associatifs se sont multipliées et jouissent désormais d’une grande aura parmi les femmes éduquées saoudiennes. Si ces féministes critiquent l’égalité des sexes telle que conçue outre Arabie, elles appellent néanmoins à une équité plus concrète. Chacun sa place, mais à valeur égale, et dans le respect mutuel.

D’autres terrains semblent par contre être relativement boudés. Depuis 2000, quantité de centres commerciaux ont ouverts, dont beaucoup l’ont été pour les femmes. Celles-ci peuvent y passer librement leur temps sans risque de croiser un mâle. Le shopping est ainsi devenu le hobby favoris de toute une classe de saoudienne, transformant cette dernière non plus en une femme musulmane modèle, dévoyée et instruite, mais en une consommatrice fidèle, calquant par la même occasion ainsi le modèle consumériste étranger.

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Correspondant peu aux critères requis pour recevoir une écoute active et admirative en Occident, ce féminisme là est complètement passé sous silence. On lui préfèrera les quelques militantes saoudiennes prônant une vision occidentale et libérale de la cause féminine, tombant le voile et s’invitant sur les plateaux télé étranger pour étayer la violence étatique de cet islam conservateur promu par le royaume saoudien.

En attendant de donner enfin le droit aux femmes de conduire ou se déplacer plus librement, le pays s’est déjà engagé sur plusieurs terrains. La pratique du sport a été légalisée dans les écoles privées pour les filles, des délégations de professionnelles féminines accompagnent désormais aussi le Roi en déplacement, et quelques années plus tôt, ce sont 30 femmes qui avaient été nommées au Conseil de Choura, dont les 150 membres sont nommés par le Roi. Les femmes sont depuis bien longtemps majoritaires dans les universités quand de plus en plus de secteurs professionnels tendent désormais à les accepter sans conditions, et sans qu’une autorisation officielle émanant de leur mari ne leur soit demandée. Des avancés portées également par les princesses du royaume qui surent apporter leur soutien à diverses causes.

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Il y a donc bien un féminisme saoudien, loin d’être homogène mais qui à le mérite d’être souligné car très différent de celui dans lequel tant de femmes blanches et occidentales se sentent à l’aise. Mais si certaines formes restent très proches de l’orthodoxie musulmane, certaines mouvances tendent néanmoins à ressembler de plus en plus à ce que le féminisme d’ailleurs propose. Résultat du cheminement liberal-économique entrepris par le Royaume depuis plusieurs décennies, mondialisation des mœurs, ouverture sur le monde, plusieurs raisons peuvent en être la cause. Mais nous sommes bien loin de la femme objet et sexualisé d’un Occident qui ne la considère qu’avec le moins de vêtement sur les épaules…

 

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