Le Sectaire, c’est l’autre

Le sectarisme est une plaie dont les savants de l’islam n’ont eu de cesse de combattre depuis les premiers temps de l’islam. À chaque génération son lot de déviances supplémentaires et de fanatismes en tous genres.

De rappels en mises en garde, le musulman, aux aguets, fait des pieds et des mains pour ne pas y tomber. Mais à force de croire que le sectarisme, c’est l’autre, il finit souvent par ne plus savoir opérer à une quelconque auto-critique quant à sa propre situation.

Du savoir en libre service

Avec la diffusion des savoirs telle qu’elle a été rendue possible aujourd’hui avec internet, et ses téléchargements en PDF et commandes/envois en 24H, plus personne n’a la possibilité de pouvoir dire qu’il ne savait pas. Ou presque. Et c’est peut-être justement là, le véritable problème.

Combien d’apprentis muftis, imams et prêcheurs ont fait leur apparition depuis la naissance des réseaux sociaux. Il suffit d’un ami posant une question sur un élément de sa religion pour observer les savants du dimanche se ruer sur le fil des commentaires tel des mouches sur un morceau de viande au soleil.

Alors que le savant a vocation à éviter les questions qui lui sont posées, à préférer affirmer son ignorance, nous constatons que sur la toile, et même en dehors, c’est bien souvent le contraire que l’on observe chez nos musulmans contemporains.

Chacun sait, a l’avis qu’il suit et qu’il défend. Ça c’est une innovation, Cheikh untel a dit, ce que tu fais est haram. Si le plus ignorant se contente de répéter bêtement ce qu’il a lu sur son fil Facebook entre deux vidéos de chats et le dernier son de Booba, l’apprenti savant se laisse souvent tenter à faire étalage des preuves et des avis justifiant ses prises de positions, et de manière parfois très condescendante.

Comme si ses quelques années de lectures aléatoire, de visionnage de vidéos youtubesque et de discussions sur deux ou trois forums lui avaient permis de comprendre l’islam mieux que quiconque et ainsi rendre plus légitime tel avis plutôt qu’un autre. Une assurance l’amenant même à se croire plus apte et plus véridique que ce savant dont il ne prend plus la science.

Le savant tu ne respectera plus

Un savant qu’il n’a jamais rencontré, dont il ne connait que ce que d’autre lui ont dit, ou dont il n’a lu de lui que les quelques lignes qu’il a pu en lire ici et là, extirpées de leur contexte et maladroitement commentées. Mais parce que quelques savants de son groupe ont mis en garde contre lui, ou parce que ce savant appartiendrait à tel ou tel autre groupe, plus rien ne serait alors bon à prendre de lui.

On le voit, l’accumulation des savoirs ne produit pas toujours l’élévation piétiste escomptée. Sinon, nous n’assisterions pas à ce triste spectacle que n’importe quel usager du net peut observer confortablement assis chez lui. Des savants sont moqués, caricaturés, traités d’impis ou de mécréants. Quand bien même une parole de vérité sortirait de leur bouche, le simple fait que l’auteur ne soit pas de tel groupe, ou justement de tel autre, suffit à voir celle-ci se jeter violement contre un mur.

Du ou des groupes sauvés

Et ce comportement n’est nullement l’apanage d’un seul et unique groupe. Non, chaque groupe a en son sein des individus de la sorte. Des plus rigoristes aux plus modérés, des plus politisés aux plus traditionnels. Cette haine à l’égard du déviant est commune à toutes les tendances et compréhensions de l’islam. Ce ne sont simplement pas les mêmes standards, et les mêmes références, le doigt peut-être pointé sur des choses complètement différentes, mais l’inimité reste la même.

Du parti pris au fanatisme

Comprenons nous bien. Il est tout à fait légitime de partager avec une tendance ou une autre des éléments de compréhension distinctifs et donc de s’en rapprocher plus que d’autres. Il est normal de vouloir se défaire et s’éloigner de ce qui pourrait faire obstacle à son cheminement spirituel. Il est humain et de bonne guerre de vouloir préserver son voisin de ce dont on pense être persuadé de la nocivité. On le sait, de l’innovation tu t’éloignera, des égareurs tu fuiras.

Mais entre apprendre des savants et prendre part à leur conflits respectifs, il y a un monde. Accorder sa confiance plus à l’un qu’à l’autre, se sentir plus à l’aise en cotoyant d’avantage certains musulmans plutôt que d’autres, très bien. Mais opérer à une sorte d’alliance et de désaveu général selon les points d’accord et de divergences que l’on aurait avec le moindre de ses voisins, revient à rapidement tomber dans l’excès.

Des excès qui amènent à la situation que l’on connait aujourd’hui. Des jeunes s’accrochant corps et âmes à un groupe en particulier, se fanatisant à son sujet, jusqu’à en défendre ce dernier tel un véritable gangmember. Des jeunes s’attaquant à tous ceux qui n’en feraient pas parti, persuadés du bien fondé de leur mission. Car ce genre d’individus a cela de particulier qu’il est sûr et certain de la justesse des choix effectués par sa personne. Il a compris, l’autre non.

Reconnaître sa fallibilité

Si les compagnons avaient le Prophète, paix et salut soient sur lui, pour pouvoir les corriger, le musulman contemporain n’a que des interprètes, des savants, qui ne sont que des hommes imparfaits et faillibles. Le respect leur est dû, mais pas une obéissance aveugle et inconditionnelle. Quand on s’aperçoit que la parole de certains d’entre eux fait presque office de révélation, supplantant parfois le Texte originel, il y a de quoi se poser des questions.

Ainsi, nous voyons quantité de frères et de soeurs débattre, argumenter et mutuellement s’invectiver à propos de l’appartenance tribale supposée de l’un ou de l’autre. Tel groupe est ceci, tel homme serait cela. 

Sans aucune gêne, chacun s’avance sûr et certain de ses choix et positions comme si révélation lui était arrivée à l’oreille.

Pourtant, conscients des divisions internes et propres à la communauté musulmane, empêchant cette union faisant la force, ils sont pourtant complètement partie prenante dans cette affaire.

Le sectaire c’est l’autre? Oui peut être. Mais si ce constat s’accompagne de la même attitude inquisitrice dénoncée chez l’autre, il est à craindre que le plus sectaire ne soit peut être pas toujours celui que l’on croit.

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