Se désolidariser de Daesh?

L’agence de presse daeshiste est débordée. Presque chaque jour, un de leur soldat ôte la vie de quelques badauds en territoire mécréant, faisant la une après avoir quitté ce monde dans une flaque de sang. Dans l’heure qui suit, ce sont des milliers d’hommes et de femmes qui se tournent vers leurs concitoyens musulmans. Dis moi Mouloud, tu t’es désolidarisé de Daesh ou pas encore?

 

La désolidarisation, 6ème pilier de l’islam de France

Alain Juppé disait déjà au lendemain du 13 novembre, face à Jean-Jacques Bourdin sur RMC :  »les Français musulmans doivent dire clairement qu’ils n’ont rien à voir avec ces barbares de l’Etat Islamique ». L’éditorialiste du Figaro Yvan Rioufol, plus tôt, avait déclaré sur Twitter :  »Je persiste, malgré les injures: pour éviter l’amalgame, les musulmans de France doivent se désolidariser de l’islam radical ». Phlippe Val et d’autres s’étaient laissés aller à des déclarations similaires.

Sur google, en tapant les musulmans doivent, se désolidariser vient en quatrième position avec le premier, quitter la France. N’importe quel musulman déclaré l’aura vécu aux lendemains de chaque attentat : la tentation est grande, et palpable chez ces collègues et voisins étrangers à l’islam, tous partagent cette maladive envie de voir et entendre le musulman du quotidien se désolidariser de ces fous d’Allah.

On aimerait bien entendre les imams condamner ces horreurs, on veut voir les musulmans descendre dans les rues, on aimerait que les mosquées soient ouvertes à tous pour qu’on puisse y voir ce qui s’y passe!

Oui, les musulmans ne montreraient pas assez patte blanche, ils seraient trop ambigus quant à leur rapport au terrorisme, et pas assez ferme quant à leur condamnation…

 

Français nous entends-tu?

Septembre 2014, 126 savants du monde musulman co-signent une lettre adressée aux daeshistes. De l’Indonésie au Maroc, en passant par l’Arabie Saoudite ou le Royaume Uni, les signataires viennent du monde entier, et dénoncent. 22 pages, rédigées en arabe, pleines de références au Coran et à la sunna viennent démonter théologiquement les présupposés daeshistes.

1 an plus tard, 70 000 religieux musulmans du monde entier se réunissent à Bareli, en Inde, dans une optique similaire.

En parallèle, l’ensemble des savants du monde musulman connu, réalisent audios et vidéos sommant l’entité nouvelle à stopper leurs exactions. Ils convoquent étudiants et fidèles dispensant des lectures et cours visant à éloigner les croyants d’une voie qualifiée de diabolique. Des livres entiers sortent et se vendent par milliers. Des fatawas sont rédigées accusant les jeunes soldats en noir d’égarés et extremistes.

En France, des manifestations ont lieu. Récemment ce sont des milliers de musulmans qui descendirent dans les rues de Mantes-la-Jolie suite au meurtre des deux policiers tués à Magnanville.

Une tribune est publiée dans Le Figaro Nous sommes aussi de sales français, co-signée notamment par Saad Khiari, Ghaleb Bencheikh, Kamel Meziti, Said Branine ou encore Kamel Kabtane, recteur de la Mosquée de Lyon.

Un communiqué condamnant Daesh est aussi publié par le Conseil français du culte musulman.

On entend aussi Tariq Ramadan, Rachid Abou Houdeyfa, Marwan Mohammed, ou encore les pontes de l’UOIF s’en désolidariser à cœur joie, ou dénoncer le groupe en question sans réserves.

Des campagnes, telle que Notinmyname sont montées. Des prospectus sont distribués ici et là par certains collectifs salafistes. Salafistes répétant les condamnations, notamment à travers un communiqué paru en 2015 où les principales têtes françaises croiseront leurs plumes pour dénoncer ces chiens de l’enfer. Des conférences sont données un peu partout sur le territoire, auxquelles sont conviées tous ceux souhaitant entendre imams et spécialistes s’exprimer sur le sujet. Des gens découvrent ainsi que les mosquées n’étaient en rien fermées…

Et poutant, après deux années d’intenses dénonciations, ils sont toujours autant à invectiver la population musulmane quant à leur supposé mutisme ou dénonciation en demi-teinte. Certains avaient même vu en les manifestations organisées par des musulmans de vulguaires tentatives d’endormir les foules.

D’explicites menaces de morts et de guerre sont adressées régulièrement à l’égard des musulmans de France sur les réseaux sociaux. Ils ne prouveraient pas assez leur désaveux du terrorisme en plus de ne déjà pas s’intégrer. Manifestez-vous, désolidarisez- vous ou dégagez! Le ton est donné et l’envie de n’entendre que ce que l’on souhaite semble plus vive que jamais.

 

Contre nous ou avec nous

Mais à bien y regarder, et plus les attentats se succèdent, il n’y a finalement aucune raison de se désolidariser de quoi que ce soit.

Un homme que l’on fait exploser, bombe à la ceinture, accroché à une terrasse. Un autre que l’on brule vif dans une cage. D’autres que l’on noient, ou décapite au petit couteau. Ces femmes et enfants que l’on écrase sous les roues d’un camion, ce prêtre que l’on égorge dans son église devant des vieilles dames, cet enfant à qui l’on fait croire à un jeu que de trouver sa victime à exécuter.

Les daeshistes se persuadent de la justesse de leurs méthodes, textes complètement sortis de leur tout et sans aucun recul, à l’appui, mais le musulman lambda, aussi savant soit-il ne voit en rien des actions islamiquement justifiables là-dedans.

Les Abdallah al Faransi ou Omar al Iraki ont peut-être beaucoup du musulman dévot, ils ne sont pas toujours aussi imbéciles qu’ils en ont l’air, et semblent parfois bien intentionnés, mais plus les actions se succèdent plus nous pouvons légitimement douter de l’islam dont ils se revendiquent. Et au vu des profils de plus en plus atypiques que le daeshisme attire, cette légitimité ne peut que s’amplifier.

Délinquants, bisexuels refoulés, jeunes convertis de quelques semaines, alcooliques ne priant pas. Drôles de mujahidin que ces gens-là…

L’injonction répétée aux musulmans de se désolidariser de ces individus laisse ainsi à croire que l’islam serait d’une façon ou d’une autre à l’origine de leur folie meurtrière. L’islam serait donc violence et terreur parce que Daesh le dit. Les musulmans ici, se revendiquent de l’islam, tout comme Daesh, c’est donc qu’ils doivent forcément en partager les idées et méthodologies.

La plupart des français sommant leurs concitoyens musulmans à la désolidarisation sont pourtant très conscients de l’innoncence de la quasi-totalité de ces derniers, alors pourquoi tant de suspicions soudaines? Personne n’a pourtant demander aux corses de se désavouer des crimes du FLNC, aux juifs d’en faire de même avec les horreurs commises par les colons en Israël, ou aux chrétiens de se désolidariser d’Anders Brevik ou du récent tueur de Munich, ex chiite converti au catholicisme.

Mais dès qu’un crime se fait au nom d’une interprétation, même complétement galvaudée, de l’islam, les regards se tournent vers l’ensemble des musulmans.

Demander aux musulmans de se désolidariser de Daesh, sous-entend aussi que par défaut ils en cautionneraient les actions. Ce qui est assurément des plus abjects. Comment penser tous ces gens, ces centaines de millions de gens de par le monde, ces millions de gens rien qu’en France, cautionner de telles actions?

La plupart de leurs victimes sont en plus musulmanes. Même en France, à Nice par exemple, le tiers des tués l’était. Les musulmans ayant perdu une mère, un fils ou un frère doivent-ils là aussi se désolidariser..?

Ne pas se désolidariser serait ainsi une façon de clairement annoncer la couleur. Qu’ont ces gens à voir avec moi? Me suspectes-tu de cautionner le meurtre d’enfants et de prêtres? Pourquoi devrai-je me désolidariser et pas toi? Parce que je suis musulman? Considères-tu ma religion responsable de cela? Puis-je te demander à mon tour de te désolidariser de ces pédophiles de catholiques que compte les églises par centaines? Puis-je te sommer de te désolidariser de ces néo-nazis et identitaires parce que français ils le sont tout comme toi? Nous pourrions allez très loin ainsi…

Et si ces appels à se désolidariser n’étaient qu’un prétexte de plus pour se tailler du musulman en toute légitimité? Une occasion donnée de plus aux athées et islamophobes en puissance de pousser les musulmans dans leurs retranchements, les contraindre d’avantage à la désislamisation forcée.

C’est en tout cas un constat qui peut être fait. Combien de musulmans, face à la pression ambivalente, abandonne tout ou partie de leur religion de peur de se voir vu comme des daeshistes en puissance. La barbe, le voile, la fréquentation assidue des mosquées, la non ecoute de la musique ou la non-mixité sont désormais vu comme des signes de radicalisation dangereux, précédant la daeshisation d’un individu.

Autant de signes que devra délaisser le ou la musulmane souhaitant s’assurer un avenir paisible loin des regards inquisiteurs et des micros de la DGSI sous le soleil français.

Les musulmans n’ont ainsi pas à se désolidariser de gens qui leur sont aussi étrangers et salissant la religion qu’il s’évertuent à défendre au quotidien. L’horreur le stupéfait comme n’importe quel autre être humain. Se défendre et se justifier constamment n’a aucun sens et serait véritablement rentrer dans le jeu de ceux-là même qui n’ont aucune envie de voir l’islam perdurer sur le territoire national.

Si désolidarisation il doit y avoir, c’est de l’humain, de l’ensemble du genre humain, et non pas des seuls musulmans.

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