Y a-t-il âme qui vive sous ce voile?

Quelques jours après le scandale du burkini gate, voici que la mairie de Cannes empêche, elle, l’accès à ses plages aux personnes arborant des signes d’appartenance religieuse. Une façon correcte et polie de dire à nouveau non aux sarrasines trop couvertes.

A chaque semaine sa polémique

Si il fallait encore récemment attendre des mois pour voir une polémique éclater autour du voile, nous y avons désormais droit chaque semaine. Il suffit qu’une caissière se couvre, que des voilées mettent les pieds dans l’eau, pour voir les véritables problématiques communes à tous devenir désuètes et la France entière s’emporter.

Les professionnels de la politique, conscients de la haine que suscite ce vêtement, profitent évidemment de l’occasion pour se réapproprier la moindre affaire. Tels des chiens affamés autour d’un os, on les voit se jeter sur le moindre fait, la moindre photo pouvant alimenter cette grande entreprise islamophobe électoralement très lucrative. D’Eric Ciotti à Nadine Morano, que la haine défigure d’année en année, tous ont compris que pour médiatiquement exister, en dépit de programmes solides, il leur fallait surfer sur les peurs et crispations de celles et ceux ayant encore foi aux processions électoralistes.

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Et le voile fait peur, il met en colère. Il est donc sujet à rameuter les votants drogués à l’actualité. Pourquoi fait-il si peur et suscite-t-il tant de colère? Parce qu’eux le disent. Eux, ce sont ces spécialistes, ces intellectuels, ces bonshommes en costume lourdement payés pour venir étaler leur science aux heures de grandes écoutes à la télévision, tels de véritables propagandistes confirmés.

Déshumaniser sa cible

Afin de faire passer cette immonde croisade pour ce qu’elle n’est pas, les personnages précités rivalisent ainsi d’ingéniosité et d’idées toutes faites pour convaincre les foules du bien fondé de leur entreprise. Il faut ainsi faire en sorte que cette dernière paraisse juste et légitime.

Instrument prosélyte, outil soumettant la femme, symbole antirépublicain ou anti-laïque. A chaque voile sa définition. Autant d’arguments nés dans l’esprit d’occidentaux soucieux d’éliminer toute forme de déisme visible et assumé, que l’on ira marteler matin et soir dans les esprits d’un public déjà conquis d’avance.

André Varela

Traitées de sacs poubelles, d’islamistes, de hors la loi, menacées de déportation, sommées de quitter le territoire, quand elles ne sont pas agressées par des hommes dont la lâcheté n’a d’égale que la perversion de leurs moeurs. La parole s’est ainsi durablement relâchée, et fait nouveau, sans aucune gêne et retenue.

Tel un objet inerte, on l’accable des injures les plus horribles, des accusations les plus mensongères, tout en lui niant ses droits les plus élémentaires, dont celui du seul fait d’être une femme comme les autres.

Car la voilée n’est plus une femme, elle est habillement dissimulée sous un voile pour que l’on ne voit plus la femme qui se trouve en dessous. Dissimulée non pas par les mâles qui l’entoure, comme le voudrait la légende, mais bien par ceux là même cherchant à la libérer. Ils se refusent ainsi à voir l’humain en cette silhouette voilée, ils s’arrêtent au paraître et à l’image qu’ils se font de cette chose qu’ils observent de loin. L’idée est bien de nourrir cette distance afin d’éviter tout attachement ou compassion envers cet objet qu’il faut à tout prix déshumaniser. 

Nos voilophobes nationaux n’ont alors que très rarement l’idée de lui parler directement, d’écouter ce qu’elle aurait à dire. La quasi totalité des débats organisés sur le sujet se sont d’ailleurs tenus sans sa présence. Comme pour mieux se convaincre de ses propres arguments et continuer à s’en inventer sans possibilité de se les voir réfutés par la principale intéressée, on l’évitera comme la peste.

Sans cesse accusée de tout dans les médias, inlassablement associée aux obscurantismes les plus condamnables et devenant le symbole même de l’islam visible dans toute sa splendeur, le français moyen ne voit plus en elle qu’un signe ostentatoire religieux ambulant. Elle n’est plus qu’un symbole, une figure déshumanisée.

Et un symbole, s’accepte ou se rejette, nulle compassion ne lui est nécessaire. Ca se montre du doigt, se regarde de travers, on peut en parler sans en attendre une réponse, elle n’a de toute façon rien à dire, elle n’est plus cet être capable de raison.

Les propos sont de plus en plus graves et d’une intolérance nauséabonde. Des propos rappelant l’antisémitisme des années 30 et les discours colonialistes d’antan mais qu’on défendra d’un quelconque racisme, car ne ciblant cette fois-ci aucunement la race de ces dames. Le procédé, l’objectif et la teneur des propos sont pourtant semblables, mais ce racisme là se fait tolérable. 

Une traque sans fin

Le doute n’est aujourd’hui plus possible, il s’agit ici d’une véritable traque. On croirait les élus et journalistes guettant les réseaux sociaux, piscines et bancs de la fac à l’affut de la moindre petite effrontée osant afficher, provoquer, imposer sa foi aux autres.

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Il y eut les élèves de l’école publique, il y eut ensuite les mamans accompagnatrices, les assistantes maternelles, puis celles dont le visage fut couvert, et enfin celles souhaitant se baigner ici ou là. Depuis plusieurs années, l’on tente aussi de légiférer à l’égard les récalcitrantes investissant les bancs de l’université, le marché de l’emploi ou foulant les bâtiments publics. Des auto-écoles, restaurants ou magasins n’ont pas hésité à rajouter parmi les indésirables la voilée aux côtés du chien. Mêmes hôpitaux et médecins s’y sont laissés tenter.

Dans un souci de perpétuelle mise à jour de la loi de 2004 que l’on cherche à étendre à toutes les sphères possibles, il s’agira de continuer à déshumaniser l’objet qu’elles sont devenues. Traiter la voilée comme un être humain, en lui redonnant parole et moyens d’actions reviendra à révéler l’injustice dont elle est la cible. D’où sa mise au banc, sa non-invitation aux discussions et les faits divers grotesques qu’on tente de lui attribuer. Le stratège est grossier mais comme dirait l’autre, plus c’est gros, plus ça passe. Et ça à l’air de jusqu’ici très bien passer.

Bientôt, ce ne sera pas de savoir où la voilée ne peut aller, mais bien où elle peut encore se rendre qu’il va nous être utile de connaître. Des esprits éclairés ont déjà proposé d’en interdire carrément la circulation dans les rues

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