Quelle sacrée tête de Turc

Depuis deux semaines, ayant échappé à un coup d’État, le président turc Recep Tayyip Erdogan, fait le ménage dans ses institutions. Un ménage qui n’est pas au goût de tous.

15 juillet, une partie de l’armée turque tente de prendre le pouvoir. Échouant lamentablement, se devant de rendre les armes face aux policiers et milliers de civils leur ayant fait face, la situation revient au calme dès le lendemain.

Si une centaine de putschistes trouveront la mort, ce sont un peu moins de 200 civils qui seront tués sous leurs balles. Les vidéos montrent ainsi des hélicoptères ouvrir impunément le feu sur des turcs désarmés, pendant que le parlement ainsi que l’hôtel où le président Erdogan passait ses vacances, se voient littéralement bombardés.

Les faits sont historiques, la situation est grave.

La destitution d’Erdogan aurait pu mettre le pays dans une situation similaire à la Syrie, ou au mieux à celle de l’Egypte : Une junte militaire au pouvoir, une population en porte à faux, des manifestations, des violences, puis des tensions communautaires jusque là contenues, et une forte probabilité que cela finisse en guerre.

Sans compter la perméabilité des frontières avec le voisin syrien qui aurait pu durablement facilité l’intrusion de combattants daeshistes sur le sol turc. Le scénario est hypothétique certes, mais il aurait été fort plausible.

 

De l’attentisme à la déception

Plusieurs milliers de kilomètres plus loin, au lendemain de l’attentat de Nice, le traitement médiatique qui en est fait eut de quoi en surprendre plus d’un.

Là où une position claire contre un coup d’État militaire et la menace de voir la démocratie déstabilisée aurait dû être prise, le ton fut à la prudence, à l’observation distante. Il y aurait des morts, Erdogan serait menacé, mais aucune condamnation claire ne semble se profiler sur les ondes bfmiènnes et compagnie.

Comme une douce espérance de voir Erdogan tomber, journalistes et chefs d’État cherchent à se faire le plus silencieux possible, en attendant la suite.

Dès le coup d’État déjoué, sans aucun respect pour les morts ni pour les millions de turcs réjouis par le retour d’Erdogan au pouvoir, c’est à la panique que cède les faiseurs d’opinions en affichant leur crainte de voir le nouveau sultan s’en laisser aller à abattre sa foudre sur les rebelles et leurs partisans.

Erdogan devient un despote, il est autoritaire, arrogant, il se laisserait tenter par la dictature qui se dessinerait sous ses mains. Pire, il aurait même fomenté ce coup d’ État lui-même.

 

Le complot, c’est encore une fois l’autre

On tombe des nues. Quand la théorie du complot est implacablement rejetée ici, attribuée à quelques adolescents en mal de réponses, elle serait toute possible la bas. On voit alors des anti-complotistes notoires soutenir l’idée que toute cette action n’aurait été qu’un complot monté par l’AKP en vue de pérenniser leur pouvoir sur le pays.

Dans les jours qui suivent, les manifestations pro Erdogan se multiplient, et ce même en dehors du territoire. Les millions de turcs qui se succéderont afin de réaffirmer leur soutien au président sortant seront pourtant à peine cités. Et quand ils le seront, ce ne sera que pour mieux affirmer la fanatisation religieuse de ces derniers, endoctrinés par un gouvernement belliqueux qui n’a fait que leur faire miroiter un avenir meilleur avant chaque élection.

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Manifestation de milliers de turcs pro-erdogan à Cologne, en Allemagne

Tout comme le complot, qui n’est possible qu’ailleurs, l’endoctrinement électoral serait quelque chose qui n’existerait pas, ici en France. Là bas, ils sont manipulés. Nous ici, non, pas le moins du monde.

Serait-ce là les résidus d’une pensée post colonialiste n’envisageant l’autre que comme un inculte incapable d’opérer à une quelconque réflexion construite ou à un regard lucide sur sa situation? Il semblerait bien.

Il aurait été hors de propos de qualifier ainsi les populations norvégiennes, brésiliennes ou allemandes dans un cas pareil…

 

Erdogan, despote élu et aimé de son peuple

Encore plus ironique, on entendra l’union Européenne exprimer son inquiétude quant à la décision du président turc d’instaurer un état d’urgence. Inquiétudes approuvées par les différentes capitales occidentales, dont Paris, capitale d’un pays sous un même état d’urgence depuis maintenant 9 mois. Ce qui poussera le président Erdogan à gentiment rappeler ces derniers de s’occuper de leurs affaires.

N’est-il pas normal qu’un président élu, ayant échappé à sa mort et à la perte de contrôle de son pays, ne fasse preuve de sévérité aux lendemains des faits? Quoi de plus logique que l’arrestation de tous les membres concernés, de l’éviction de tous les possibles sympathisants putschistes des sphères du pouvoir, et de la mise en garde à vue de tous les suspects potentiels?

Si les arrestations et mises en garde à vue sont impressionnantes, que des reproches peuvent être faits à l’égard de l’étendue des cibles concernées et de la politique d’Erdogan sous certains aspects, on ne peut que se demander comment la France, pour ne citer qu’elle, aurait réagi face à des faits similaires.

À la fin de la colonisation française en Algérie, deux coups d’État eurent lieu entre 1958 et 1961 visant à renverser De Gaulle. Bien moins impressionnant, ils se solderont eux aussi par des morts, de multiples arrestations, aboutissant parfois à de lourdes peines de prison, et des purges internes visant à nettoyer l’armée de ses faux amis.

Aujourd’hui, aux vues de l’attitude du gouvernement socialiste face aux manifestants anti loi travail, et pire encore face aux milliers de musulmans visés par les perquisitions et assignations à résidence depuis le début de l’état d’urgence, on se demande bien ce qu’il en aurait été en cas de coup d’État…

 

La France, ses bons et ses mauvais dictateurs

Cette réaction en demi teinte des médias et hommes politiques occidentaux face au putsch turc aura permis encore une fois de mettre en évidence le double discours du monde civilisé.

La journaliste Soumayya Ghannouchi l’a très bien résumé en ces quelques lignes :

 »La vérité est que l’Occident se moque éperdument de la démocratie et des droits de l’homme. Ces notions sont hors de propos en ce qui concerne ses amis et ses alliés et ont uniquement la valeur d’un bâton avec lequel il peut battre ses rivaux et ses ennemis. Si Erdoğan est vilipendé aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’il ne serait pas un démocrate ou qu’il serait un tyran, mais parce qu’il ne se montre pas flexible face aux diktats occidentaux, ni disposé à respecter les règles et paramètres fixés par l’Occident dans la région. »(1)

La France n’a aucun remord à travailler avec des gouvernements comme celui de Sissi en Egypte, arrivé au pouvoir grâce à un coup d’État orchestré contre un président élu, multipliant les exécutions d’opposant et muselant la presse comme jamais. Elle a longtemps travaillé avec des dictatures comme celle ayant dirigé le Tchad ou d’autres pays du continent africain, comme elle a pu longtemps entretenir de bons rapports avec Saddam Hussein ou Kadhafi, malgré certains dénis démocratiques avérés.

Avancer ainsi le fait de vouloir préserver les droits humains ou la démocratie en s’en prenant ainsi à la Turquie est un mensonge éhonté. Si Erdogan se disposait à suivre la politique internationale menée par la France, établir avec celle-ci de juteux contrats tout en permettant à l’OTAN de davantage prendre pied sur le sol anatolien, pour sûr, elle ne subirait aucune foudre politico-médiatique.

Le gouvernement d’Erdogan aura eu beau d’offrir ses condoléances pour le  »génocide » arménien, organiser des référendums, su faire la paix avec Israël et la Russie, rouvert la synagogue d’Edirne, essuyé plusieurs dizaines d’attentats ayant couté la vie à plusieurs centaines de personnes, lutter contre Daesh, et être arrivé au pouvoir démocratiquement, rien n’y fait. Le monde civilisé ne l’aime pas.

Pas assez magnanime, trop musulman, il n’est pas l’arabe (bien que turc) de service qu’il leur faut. Il s’efforce d’effacer toute trace du kemalisme laïque d’antan et permet aux femmes voilées d’enfin retourner à l’université et dans le monde du travail. Un cauchemar pour les laïques et anticléricaux de tous poils.

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Le président Erdogan en plein bain de foule

Ses références à l’islam sont visibles et la population profite de cette liberté de culte retrouvée pour revenir à l’islam civilisationnel qui a longtemps fait de ce pays un phare du monde musulman. Mais il y a encore du travail, car tout touriste ayant séjourné un temps soit peu à Istanbul pourra vous le dire, nous sommes encore loin d’un État islamique, dans tous les sens du terme.

Les occidentaux sont ainsi dans une situation des plus embarrassantes. Affichant clairement sa haine de l’AKP (on se souvient du traitement navrant des dernières élections turques), mais faisant face à la réalité des faits (le soutien dont il bénéficie de la part de tant de turcs), ils ne savent plus trop sur quel pied danser.

Sûrement en colère de ne pas l’avoir comme véritable allié, lui qui ne se tourne plus vers l’Est, ils risquent d’éprouver des difficultés désormais à continuer à faire de lui le despote qu’ils souhaiteraient tant qu’il soit. Les turcs ont montré massivement leur attachement au président Erdogan, tout comme l’on fait des musulmans du monde entier.

Mais rien n’est fait. On sait comment de grands leaders arabo-musulmans, bien que soutenus par leur peuple, eurent à subir le violent retour de flamme d’un Occident colérique jamais en mal de propagandes mensongères…

Et en écoutant l’opinion publique française quant à ce président dont elle ne connait que ce que journalistes et politiques veulent bien lui en dire, de possibles sanctions, voir une intervention militaire n’aura que peu de mal à trouver raisons valables dans le coeur des masses.

 

 

(1)http://www.middleeasteye.net/fr/opinions/pourquoi-erdo-est-il-diabolis-en-occident-661915955

Une réflexion sur “Quelle sacrée tête de Turc

  1. Assalam Alaykum

    « Le gouvernement d’Erdogan aura eu beau d’offrir ses condoléances pour le génocide arménien »

    La population turque, dans sa majorité, ne reconnaît pas de « génocide » arménien. Plus de 500.000 Turcs ont été tués à cause des événements de 1915. Les Arméniens n’ont pas de leçons à nous donner, qu’ils rendent des comptes pour les massacres et les déportations (on parle d’un million de personnes) des Azéris.

    Très bon article, c’était plaisant à lire et ça change du consensus anti-Erdogan de la presse française…
    Sinon, je crois qu’on écrit « tomber des nues » avec un e, sauf erreur.

    Bonne continuation, qu’Allâh vous accorde de la clairvoyance dans vos futures analyses, inshâ Allâh !

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